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Habiter la terre… Indonésie

Sumba

Vendredi 23 Mai

Vol Yogjakarta > Bali > Tambolaka.

Nous quittons Java pour l'Est.
Dernier coup d'oeil au volcan Merapi sur la gauche de l'appareil. Totalement dégagé, comme pour nous narguer.
Les gros orages tropicaux d'hier soir ont lavé le ciel. On voit très bien le panache de fumerolles qui s'échappe du sommet de la pyramide sommitale.
Vol magnifique sur East Java - nous survolons quelques volcans qui émergent de la couche nuageuse, puis escale de transit à Bali.

Bali > Sumba.
Deux vols par semaine pour Sumba. L'aéroport de Tambolaka est donc en pleine effervescence quand l'avion arrive. Tout de suite, on débarque ailleurs. Ce n'est plus la même histoire…

Sumba. Une île peu visitée des touristes, un peu à l'écart des circuits touristiques. Ici il y a beaucoup de monde seulement en Février et en Mars : on vient de tout le pays pour assister aux célèbres "pasola", courses démonstrations à cheval, jeu d'adresse collectif spectaculaire. Sumba est une des îles les moins fréquentées de l'archipel de le Sonde. Pourtant l'île semble magnifique.
Sumba est une île chrétienne. Enfin bien sûr avec beaucoup de traditions animistes. Là encore les missionnaires ont fait un deal. Pas une mosquée, mais des églises en parpaings au milieu de la forêt. Alors que jusqu'à présent les mosquées étaient les plus belles "maisons" du village, ici c'est l'église…

Nous déboulons à Waikabubak pour la nuit. Une queue interminable à la station service : cela fait deux semaines qu'il n'y a plus d'essence. Nous nous posons au Mona Lisa Cottage, quelques bungalows posés dans une prairie, à la lisière de la forêt. A moitié terminé, à moitié en construction. Je viens voir à Sumba une architecture vernaculaire. Celle de la civilisation qui cultive l'esprit "Marapu". Demain nous partons à l'exploration des villages sur la côte sud de l'île.


Samedi 24 Mai

Je suis parfois du genre un peu tétu. Ici on a voulu me refourguer le village traditionnel à deux kilomètres, au beau milieu de la bourgade. Je préfère celui que j'ai repéré sur Google Earth, au sommet d'une falaise dominant la mer. Une heure de route minuscule qui serpente dans la forêt et sur les collines : nous filons à Wanokaka.

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Je veux profiter de la belle lumière pour aller filmer le bord de mer. Une immense plage s'étend devant nous. A l'Est une falaise, contre laquelle vient se fracasser les vagues. A l'Ouest une colline vient rejoindre la mer. Quelques pêcheurs, au delà des rouleaux, tirent leurs filets depuis des pirogues à balancier taillées dans un seul tronc d'arbre. Cette nuit, un fort coup de vent a fait échouer un bateau de pêche sur la plage. Une grosse vague l'a jeté sur le côté. Les hommes essayent de le désengager du sable. Pas facile…
Un homme s'approche, qui porte un serpent - mort - autour du coup.
"- J'étais en train de me doucher, et il est tombé de l'arbre, à côté de moi, alors je lui ai sauté dessus et je l'ai tué"
Le serpent est d'un vert magnifique. Je reconnais là un serpent venimeux, une espèce dangereuse qui vit dans les arbres.

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Juste à côté de la plage, une petite route monte sur la colline. Nous approchons du village de Wanokaka. Le peuple de Sumba a construit ses villages sur les collines. D'abord pour ne pas empiéter sur les terres cultivables. Aussi parce qu'il est bon de se protéger des pluies tropicales très fortes qui transforment le moindre terrain plat en marécage en quelques heures. Le village que nous allons voir n'est pas un village de pêcheurs, c'est un village qui vit des ressources de la terre.

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A Sumba, les maisons sont spectaculaires, elles ont une forme unique au monde, une forme très particulière. Le toit est en herbe, il est très pointu, en forme de pyramide, lié à une pratique de culte des ancêtres, qu'on appelle ici "Marapu". Un système de pensée animiste, qui régit les relations entre l'homme et les esprits de la nature.

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Nous approchons de la dizaine de maisons construites autour d'un espace central. Une place où se tiennent les cérémonies. Devant chaque maison il y a d'immenses mégalithes. D'énormes blocs de pierre sculptées, recouvertes de lichens noir, posées sur d'épais piliers en pierre blanche. Plusieurs se sont effondrées, les pierres ont glissé sur le côté, la végétation a repris le dessus. Drôle d'ambiance. Quelques gamins s'approchent, en nous regardant comme si nous étions des extra terrestres. Un d'eux, que je regarde fixement, se met même à pleurer…! Sa mère rigole en le reprenant dans ses bras. A droite, une femme est en train de tisser un sarong (la pièce de tissu traditionnelle à tout faire en Indonésie).

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Un ancien sort de l'ombre.
"- Vous habitez dans cette maison ?
- Oui, j'habite là. Ici, c'est une place sacrée, on y tient les cérémonies.
- Expliquez moi, c'est lié au Marapu !?
- Oui c'est çà, c'est le Marapu, le culte des ancêtres".

L'ancien nous a invité à l'ombre de sa maison (ce n'est pas de refus !) pour déguster quelques noix vertes au goût absolument impossible. Le sommet de l'amertume. Il les mélange à une sorte de poudre blanche, qui colore instantanément le peu de dentition qu'il lui reste d'un rouge sanguinolant. Il est assis sur une terrasse en bambous, devant une paire de cornes de buffles. Presque intimidant. Par l'ouverture de la porte, je distingue dans la pièce sombre les énormes piliers en bois massifs qui soutiennent la toiture. Magnifiques.

"- Pourquoi les maisons ont elles le toit aussi pointu ?
- C'est un étage supérieur, réservé aux ancêtres.
- Vous y croyiez encore, vous, au Marapu ?
- Oui, bien sûr !"
L'homme regarde fixement, il a l'air sûr de lui.
"On peut rentrer à l'intérieur ?
- Non, impossible, les étrangers ne peuvent pas rentrer à l'intérieur. Seulement la famille."

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Sur les mégalithes, devant les maisons, les femmes ont mis à sécher le riz sur les pierres noires, elles viendront le brasser de temps en temps. Il y a comme un instant de flottement. Je sais qu'il ne faut pas aller trop vite à ce moment là. Savoir ralentir, quand on a envie d'accélérer. Yon me dit qu'il faut discuter avec le chef du village, le leader de la communauté. Nous approchons d'une groupe de trois maisons construites face à l'Est, avec une vue magnifique sur la vallée. En bas, on voit les hommes qui travaillent dans les rizières. C'est le moment de la récolte. Dans les rizières irriguées, on fait ici entre trois à quatre récoltes de riz par an !

"- Le chef est parti dans la colline, il reviendra vers 4 heures…"
L'homme qui s'est approché fait partie de la famille élargie du leader de la communauté. Son nom est "Beku Rade". Bonne bouille, sorte de mélange entre pirate des mers du sud et faciès d'acteur de cinéma. Cà doit venir de la moustache. Il nous invite dans sa maison. Tout de suite, on apporte le café. Un café noir épais, sucré jusqu'à l'écoeurement. Nous sommes assis en tailleur sur les nattes en jonc tressés.

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Les maisons Sumba sont constituées de trois niveaux :
- Le sol, étage des animaux.
- Le premier niveau, étage des hommes.
- Le deuxième niveau et la toiture, réservé aux semi-divinités du Merapu : les ancêtres déifiés.

Mr Beku Rade est pourtant chrétien. Alors il nous invite chez lui sans problèmes. Les jeunes perdent le sens du Marapu.
L'intérieur de la maison est un espace carré, avec feu central. Quatre piliers (alignés sur les quatre points cardinaux) soutiennent la charpente. Juste avant la toiture, il y a des sortes de grosses bagues en bois qui entourent les piliers, symboles de fertilité. Le sol est un plancher en troncs de bambous posés grossièrement. Les seuls objets manufacturés sont la vaisselle et quelques habits. Pas d'eau. Pas d'éléctricité. Dix personnes vivent dans cette maison. Aucun assemblage. La structure en bois massif est assemblé avec des liens végétaux.

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"- La maison date de plusieurs générations. Les piliers sont en "Bayala", un bois très solide. On ne trouve pas cette espèce de bois dans la vallée. Les anciens ont apporté les troncs avec des pirogues ! Moi, j'ai refait le toit il y a 24 ans. L'herbe vient de la colline, il faut en superposer plusieurs couches. C'est tout attaché avec des liens en bambous. J'ai fait çà il y a 24 ans, et même pendant la saison des pluies, il n'y a pas une goutte d'eau à l'intérieur. Chaque fois qu'on refait le toit, c'est un gros travail, on doit tuer 2 cochons pour l'occasion."

Remarquable ! Ce qui est bien, c'est qu'on est vraiment au frais sous cette herbe. "La maison, c'est d'abord un toit" dit l'expression. Là, cette maison est comme un arbre. J'inspecte les liens entre les pièces de bois qui maintiennent la toiture.

"- Vous voyez, là, les attaches, ce sont des lianes très solides, elles servent à attacher les grosses pièces, les autres liens, c'est du bambou."

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Mr Beku Rade a 5 enfants, 1 cheval, 1 cochon et quatre poules et plusieurs chiens. On mange tout (sauf le cheval et les enfants…! - le peuple de Sumba était cannibale, mais c'était il y a très très longtemps !). On tue le cochon pour les grandes occasions (mariage). Les mâchoires sont pendues sous l'auvent de la terrasse. Les poules, on les élève surtout pour les poussins, pas trop pour les oeufs. Les chiens çà dépend, selon l'humeur.

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Vers 16 heures, avant que le soleil ne baisse trop sur l'horizon, nous montons sur la colline pour faire des plans larges de la vallée. Les maisons dominent les rizières. Une percée dans les nuages de chaleur vient un instant pointer les toits végétaux qui émergent des arbres.

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A la tombée de la nuit, le fils de Mr Beku Rade rentre de sa journée de travail dans la rizière. Les hommes s'affairent à mettre en marche une lampe à pétrole. Exceptionnel parce que nous sommes là. Sinon c'est seulement une mèche trempée dans un bidon d'huile. A l'intérieur, le fils de Mr Beku Rade vient d'égorger un poulet, qu'il finit de nettoyer au feu de bois. J'adore cette odeur. Le feu projette d'étranges ombres sur les bambous couverts de suie. Deux des filles s'affairent dans la cuisine, presque à tâtons.

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Nous mangeons dehors, sur la terrasse. Poulet bouilli au lait de coco, avec du riz. Il faut expliquer à ceux qui nous invitent que nos estomacs fragiles ne supporteraient pas la sauce aux piments, là, dans ce bol qui passe de main en main, et dont les hommes se servent de grosses cuillères chacun…

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Le temps passe tout doucement. Pour une fois ! Il faut dire qu'il n'y a pas grand chose à faire. Il est 8 heures mois cinq. Tiens, on va encore rater les infos…! Dernières cigarettes pour ceux qui fument. Nous nous allongeons habillés sur les nattes en espérant trouver rapidement le sommeil. Les gamins attendent que nous soyons couchés pour s'éloigner doucement, curieux qu'ils sont de cette étrange équipée qui a élu domicile dans leur maison pour un soir. Les pensées s'éparpillent au son des hommes qui discuteront à voix basse jusqu'à point d'heure en jouant aux cartes.



Dimanche 25 Mai

Le coq a chanté à 4h15 ce matin. C'est celui là qu'on aurait dû manger hier soir ! Le coq, puis un bébé qui pleure, puis un cheval qui braille. Puis les trois à la fois…
Le bambou était un peu dur cette nuit. Il faudrait une bonne dizaine de nuits pour s'habituer aux nattes.

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Le père de famille nous offre un café. L'instant est paisible. On entend distinctement le fracas de rouleaux qui viennent se briser sur la plage, pourtant à environ deux kilomètres de là. Cette nuit j'ai cru que c'était le vent dans les arbres. Puis on entend une moto, là bas, au loin, qui pourrait nous rappeler qu'il existe un autre monde, plus loin, ailleurs.

La lumière couleur rouille du soleil levant vient soudain frapper les maisons. Là haut la lune joue avec les deux pièces de bois ouvragés qui surmontent la toiture. Ces deux pièces de bois symbolisent l'homme et la femme, et l'harmonie qui les unit. C'est pas beau, çà ?!?

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Un drame ce matin : la fille a fait tomber sa boucle d'oreille en faisant la vaisselle ! Elle est passée à travers les bambous. Mince, elle est tombée à l'étage des animaux (porc, poules, cheval…). Accroupis, nous fouillons dans le purin pour tenter de la retrouver…

8 heures. Nous suivons les hommes et les filles de la famille, porteuses d'eau : nous partons à la salle de bain. Trois cents mètres à faire sous les arbres, en suivant un joli petit sentier. Une simple source, un petit bassin entouré de pierres sèches : c'est le point d'eau du village. Il a fallu ralentir en arrivant : les hommes ont vu des habits féminins posés dans les buissons. Il faut signaler sa présence, s'assurer qu'on ne dérange pas. Mais non, elles finissent de laver le linge. Nous pouvons y aller.
Une gamelle en plastique pour s'asperger d'eau qui a sensiblement la même température que l'air. Les hommes de la maisonnée descendent à tour de rôle à la source pour se frotter sous les bras. Nous laissons la place à une femme et son gamin qu'elle porte sous le bras. Lavage express à grand coup d'eau. Elle remet le seau sur la tête, le gamin sous le bras, et file en sandales d'un pas sûr sur les pierres glissantes, entre les racines de l'immense arbre qui procure une ombre salutaire.

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Retour au village. La chaleur est plombante. Tout le monde reste à l'ombre. les hommes jouent aux cartes en silence. Repos aujourd'hui, c'est dimanche. Une femme est allongée sur le dos sur sa natte. Ses cheveux flottent au vent, ils touchent presque le sol. Une autre tisse. On entend les navettes qui font claquer les bambous.

Nous sommes remontés sur une autre colline. Nous filons à travers les herbes épineuses pour trouver le point haut adéquat : j'ai cette obsession de faire un plan du village avec la mer au fond. Nous y voici. Là bas l'écume blanche des rouleaux fait deux traits blancs dans le bleu de la mer. Les toits d'herbe des maisons dépassent des arbres. Cà y est, j'ai le plan. On peut redescendre.

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En début d'après midi, nous quittons le village, et rentrons à Waikabubak.
Demain est un autre jour, nous filons à Bali pour la suite de nos aventures indonésiennes.

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