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Habiter la terre… Indonésie
Bali
Lundi 26 Mai
Ce matin la petite grenouille qui a passé la nuit dans ma
chambre était blottie contre mon sac. Comme si elle voulait
faire partie du voyage…
Une heure de route pour Tambolaka, dans la belle lumière. Des
centaines d'écoliers marchent le long de la petite toute
goudronnée.
L'aéroport est hors d'âge. Dans la salle d'embarquement,
une balance d'un autre siècle, avec série de poids en
laiton. On pèse sans conviction. Murs en contreplaqué
gondolé. Popeye en indonésien sur la télé
pourrie. Hauts parleurs d'automobile pour les annonces des vols.
Gobelets en plastique rayés sur la table qui tient lieu de bar.
Une délégation d'officiels arrive par l'avion que nous
attendons. Courbettes des femmes en tenues traditionnelles.
Défilé de barrettes militaires et de chemises brunes bien
repassées. Dehors les jeunes collés aux vitrages
regardent comme s'il allait se passer quelque chose d'important. A 9
heures, quand nous embarquons, la lumière est déjà
aveuglante.
Sumba > Bali
Quarante cinq minutes de vol pour changer d'île. Pour changer de monde.
Bali…
C'est mon quatrième voyage ici. Comment décrire cette
île !? Certains de ceux qui la connaissent diront bien sûr
que ce n'est plus comme avant. On peut voir les choses comme cela. De
mon côté, je ne suis pas un "tout fout le camp". Je prends
toujours beaucoup de plaisir à être ici. J'y trouve une
douceur, une harmonie entre la population et le paysage qu'on ne trouve
nulle part ailleurs. Seule île hindouiste de l'archipel
indonésien, Bali conserve un sens de l'accueil
légendaire. Une culture raffinée, sophistiquée,
tout en finesse et en subtilités.
Bien sûr l'île étant la destination la plus
touristique du pays, çà a fait des dégâts,
surtout sur la côte. Mais dès qu'on file à
l'intérieur, la culture balinaise reprend le dessus. Et puis
nous ne sommes pas en haute saison. Alors l'endroit est plutôt
calme. Ceci dit, les attentats de 2001 et de 2005 ont aussi ralenti la
fréquentation touristique. Bali souffre de la mauvaise image de
l'Indonésie comme plus grand pays musulman au monde. On
s'imagine souvent à tort un pays sous tension.
Pour monter à Ubud, nous empruntons la route de Sanur. Il faut
passer devant des kilomètres de statues en pierre, de fabriques
de meubles, etc… On fournit la terre entière en statues,
sculptures sur pierres de lave, répliques miniatures des autels
et petits temples balinais.
Ubud, c'est la ville des artistes, : peintres, tailleurs de pierre,
sculpteurs sur bois, qui fabriquent statues de divinités,
éléments de constructions, panneaux de bois,
décors, fontaines de toutes sortes. Des centaines d'ateliers,
d'échoppes. Partout, la sophistication du travail du bois et de
la pierre, de la noix de coco et du bambou. On fabrique pour le monde
entier.
Yon dégote un "cheap price" au "Cayaha Dewata", un hôtel qui donne sur la vallée de l'Ayang River.
Ubud by night. Wifi gratos au Dragonfly Café. Il est 23 heures,
les milliers d'insectes donnent un concert dans le vallon. Il fait
trois gouttes. Là dessous, deux hommes travaillent encore dans
les rizières, à la lueur d'une lampe à
pétrole.
Mardi 27 Mai
Je viens explorer les maisons traditionnelles de Bali. Les "Puri". Il
faut s'écarter de la rue principale d'Ubud pour trouver
l'endroit. Il y a un mur de briques, d'où dépassent
quelques toitures végétales. Comme partout ici.
On franchit un premier portail en pierre. Plusieurs pavillons ouverts,
aux toitures traditionnelles en Alang alang (herbe spéciale). La
végétation est partout. Elle envahit les moindres
recoins. Avec l'humidité omniprésente, les murs se
recouvrent de mousse. La moindre pierre semble avoir trois
siècles.
Les maisons balinaises traditionnelles dégagent un sentiment
d'harmonie. Sûrement parce qu'elles sont une série de
pavillons disposés sur un plan qui obéit à des
régles très précises.
Je m'avance doucement. Une femme est en train de déposer - comme
au ralenti - des pétales de fleurs, et quelques grains de riz
collés sur un petit morceau de feuille de bananier. Elle
répète cette offrande devant chaque statue, chaque
pavillon. Nous sommes dans une maison habitée par le plus grand
prêtre d'Ubud. Il faut imaginer qu'ici toutes les maisons ont
leur petit temple, autel, où on fait des offrandes.
Le prêtre est en train de faire ses prières du matin. Il
est installé en hauteur dans un des pavillons. Torse nu, assis
en tailleur, il alterne prières, accompagnées d'un
carillon qu'il agite de la main gauche, pendant qu'il jette des gouttes
d'eau sacrée de la main droite, à l'aide d'une baguette
que je crois être de la citronnelle. Puis il pose la clochette,
et fait une série de mouvements de mains et d'avant bras
divinatoires. Longue barbe. Cheveux longs accrochés en sorte de
chignon sur l'arrière du crâne.
En face, un autel où sont déposées les offrandes,
et où brûlent des bâtons d'encens. A droite, sous un
des pavillons, la cuisine, qui sert à préparer les plats
d'offrandes. Ribambelle de casseroles noircies accrochées aux
murs envahies par l'humidité, en dehors des plans de travail
carrelés. Four en pierre. Dans un petit pavillon annexe, deux
femmes préparent les offrandes, sortes d'assemblages
d'éléments végétaux et de fleurs, qui
entourent du riz, du canard, et des fruits. Des sortes de mini plateaux
repas qu'on va disposer aux quatre coins de la maison, au pied de
chaque divivnité, et sur une grande table face à l'autel
principal.
Le prêtre Ida Pedanda Gede a 72 ans. Sa famille vit dans cette
maison depuis 7 générations. Elle venue depuis l'est de
Java. Il reçoit ce matin, une jeune fille malade, pour lui
prodiguer réconfort et bonne fortune pour l'avenir. Après
plusieurs prières au sol, elle se tient maintenant devant le
prêtre, et reçoit l'eau sacrée. Le prêtre
termine ses prières, et change de pavillon pour venir s'asseoir
dans son bureau. Maintenant ce sont trois villageois qui apportent des
offrandes. Nous attendons sur un long banc en teck,
protégé de la pluie par le débord de toiture.
Cà y est, c'est notre tour. Nous nous asseyons en tailleur sur
des nattes, sous le pavillon qui tient lieu de bureau et de salon de
réception. On apporte un café et des bananes. Le
prêtre affiche un large sourire. Je viens pour qu'il m'explique
"l'Asta Kosala Kosali" : un ensemble de textes sacrés qui
régit la construction des maisons à Bali.
"- Avant même de commencer le
chantier, il y a des régles, vous savez. D'abord, il faut savoir
choisir le bois. Les régles spécifient le choix des
arbres à abattre, pour conserver durablement la forêt.
Puis on doit réciter des mantras, comme à chaque
étape de la construction de la maison".
L'homme parle tout doucement. De temps en temps il s'arrête, fait
un grand sourire qui découvre une dentition en mauvaise
état à qui on inflige l'absorption de toutes sortes de
substances qui la colore du brun au rouge vif. Impressionnant. A
côté, sa femme, qui semble s'occuper des affaires
logistiques de l'endroit, surveille la scène par dessus ses
grosses lunettes rondes. Le prêtre reprend doucement.
"- Les toits des maisons ne doivent pas dépasser 20 mètres de haut, ou alors la hauteur des cocotiers…"
Une régle simple dont le résultat est
immédiatement visible à Bali : une intégration de
l'habitat au paysage. Ensuite, les constructions doivent tourner le dos
au volcan, faire face à la mer. Les règles
spécifient l'écartement entre les habitations
destiné à laisser passer les énergies terrestres,
à ne pas bloquer les flux.
En quelques minutes, il se met à pleuvoir des trombes d'eau.
Mais il n'y a absolument aucun vent qui accompagne cette pluie. Le
rideau de pluie qui tombe des tuiles semble fermer le pavillon. Il faut
tendre l'oreille un peu plus pour distinguer les paroles du
prêtre, qui semblent prendre à ce moment là encore
plus de valeur.
"- Et quand est il du Depa Asta Musti ?"
Le prêtre sourit, j'imagine qu'il est content de cette question.
"- C'est un système de mesure
qui utilise trois unités : la distance des deux bras ouverts et
tendues à l'horizontale, la distance entre le coude et
l'extrémité de la main, et la longueur du pouce."
Avec ces trois mesures, on fixe les distances de tous les éléments de la maison.
"- Où est il ce texte sacré ?"
"- Les originaux sont écrits
sur des feuilles de palmiers, conservées à Denpasar. Je
les ai recopiés sur ce cahier, regardez !"
Le prêtre prend à côté de lui un petit
cahier, dans les pages sont remplies d'écriture javanaise
à l'encre marron. Il feuillette doucement le cahier, puis
s'arrête sur une page et me tend le cahier. Je feuillette ces
pages magnifiquement écrites, qui racontent les règles de
l'Asta Kosala Kosali. Moment d'émotion.
Notre temps d'entretien se termine. Il pleut des trombes d'eau.
Impassible, Ganesh, à l'entrée, accueille de nouveaux
villageois qui arrivent en portant sur la tête leurs plateaux
d'offrandes. Dans un coin, Garuda semble prêt à s'envoler
pour aller chercher Vishnu. Nous sortons émus par cette paisible
rencontre.
Le soleil perce à nouveau, plombant l'atmosphère. Il fait
tout à coup extrêmement lourd. Nous nous réfugions
dans le minibus et retraversons Ubud. Black out sur Bali : la compagnie
d'électricité a coupé le compteur, pour
problèmes d'approvisionnement, à cause de l'augmentation
du baril de pétrole.
Bien sûr Denpasar est une ville moderne. Mais dès qu'on
quitte la côte, Bali reste très sauvage. Quand on quitte
Ubud par les routes du nord, en remontant vers le volcan, on traverse
des paysages campagnards, où les balinais s'activent dans les
rizières. Canards qui pataugent dans les terrasses qui
dégringolent le long des pentes, occupant tout l'espace
disponible. Partout de petits autels, pour remercier la terre, pour
solliciter la bienveillance des dieux de l'eau, du volcan, de la
forêt. C'est vrai, Bali est imprégnée de
sacré. Il y a de drôles de lumières qui viennent
faire scintiller les rizières à contre jour. De
menaçants nuages noirs traversent le ciel. Puis tout à
coup un instant de lumière magique. La météo ?
"- Impredictable !" comme dit Yon…
Quand la nuit tombe, des trombes d'eau s'abattent sur la ville. Nous
sommes réfugiés au Dragon Fly Café, où
quatre musiciens reprennent des standards internationaux, devant trois
couples d'australiens qui sirotent en consultant leur mails.
Ubud se couche tôt. Nous aussi. Les couloirs de l'hôtel
sont envahis d'immenses flaques d'eau, qu'on essaye tant bien que mal
de retenir en jetant des serviettes, pour éviter qu'elles ne
rentrent dans les chambres.
Mercredi 28 Mai
Il a tellement plu pendant toute la nuit que l'air est totalement saturé d'humidité ce matin.
Lambeaux de brume qui s'accrochent dans les arbres.
A 6 heures ce matin, les hommes ont commencé à travailler dans les rizières.
A force de fréquenter les chambres d'hôtel, je suis
passé maître dans l'art du jeté de tapis de bain.
Un geste qui ne doit rien au hasard, mais qui en même temps doit
rester spontané s'il veut être abouti.
Généralement le tapis est posé sur le rebord de la
baignoire. Il s'agit de le jauger. Le premier coup d'oeil va en dire
déjà long sur sa texture, sa propension à la
souplesse, ou au contraire à garder une certaine
rigidité. Puis, en le prenant, on le soupèse. Etape
cruciale. Le jeter par terre. D'un geste abouti et sûr. Sans
douter. One shot. On n'a pas le droit de recommencer. Il flotte sur
l'air un tout petit instant. Pof ! Il claque par terre. La nature du
sol est importante… il pourrait glisser, et sortir de la zone
prévue pour l'atterrissage. L'objectif est clair : il doit
s'étaler parfaitement, et être parallèle - si
possible collé pour absorber les éventuelles gouttes
d'eau - à la baignoire. Parfois un geste du pied - fine caresse
du bout de l'orteil - sera nécessaire pour achever le tableau.
Bon… Allez ! Pof ! Réussi aujourd'hui.
On pourra alors se consacrer à l'art de la douche - ce que les
balinais appellent Mandi Bathing - mais c'est une autre histoire…
Nous traversons Ubud du petit matin. Les touristes en tenue Dolce &
Gabbana, avec leurs grosses lunettes qui leur font des têtes de
mouche - tendance 2008… - baillent en terrasse des restaurants
de la rue principale. Laissons les à leurs questionnements
existentiels chroniques pour filer vers d'autres univers.
Les petits coins de paradis se trouvent souvent au bout de tout petits
chemins qui ne payent pas de mine… Le minibus s'est
engagé sur un minuscule chemin empierré, entre deux murs.
Nous débarquons chez Linda Garland.
Linda Garland est une irlandaise qui a fait découvrir Bali
à plusieurs stars mondiales : Mick Jagger, Richard Branson,
Bono… Au milieu des fougères arborescentes, des
rizières et des bosquets de bambous, Linda a bâti
plusieurs maisons, sur un terrain d'une dizaine d'hectares. Linda est
classée dans le top 50 des designers mondiaux. Styliste, docteur
en philosophie, elle a flashé sur Bali il y a 35 ans.
Le portail télécommandé s'ouvre sur une
allée envahie par la végétation. D'immenses
poteries (anciennes jarres de Java) ont été
incrustées dans un long mur en pierres sèches. Puis on
accède par une volée d'escaliers en pierre couverts de
mousse à un immense espace où une maison en bois sur
pilotis est construite au milieu des arbres. Au rez de chaussée,
il y a d'immenses espaces ouverts, entre les pilotis, où
quelques meubles magnifiques invitent au repos.
Les maisons sont totalement intégrées à
l'environnement. Cà veut dire que la maison est dans la nature
(bon çà c'est une question de fric). Mais la nature est
dans la maison (çà c'est une question de philosophie).
Linda a les deux…
En quelques années, la nature a repris le dessus sur l'impact
originel de la construction. Animaux, sons, plantes. Ici les fourmis
courent sur les piliers, le long des murettes. Les oiseaux piaillent au
bord des bassins. Plouc ! Les grenouilles s'y réfugient quand on
approche. Les bambous grincent à côté du bureau.
Les cacatoes jacassent dans les arbres. La mousse se développe
à la première ombre. Lichens, fougères, plantes
grimpantes ou grasses. Tout le monde est convié à habiter
là. Je trouve que c'est ce qui est magique sous les tropiques.
Cette fusion entre ce que l'homme construit, et la manière dont
les végétaux et les animaux se réapproprient les
lieux. Quand je pense qu'en Occident, on chasse à grands cris la
moindre araignée qui tente d'établir domicile au
plafond…
Fian est un jeune indonésien originaire du Timor, qui nous
convie à la découverte des lieux. La "Waterfall House"
est construite sur la pente au dessus de la rivière. Face aux
rizières. A gauche, un spa, dissimulé derrière un
rideau végétal. On peut descendre un escalier en pierre
pour rejoindre une petite plateforme au dessus de la rivière. On
s'y étendra sur un banc d'un seul jet de bois : la racine
géante d'arbres de Java. Il y a des petites terrasses en pierre
un peu partout, qui jouent avec la pente. Du style "Wentilan" : un art
de poser et d'assembler des galets de rivière. La Waterfall
House est bâtie sur deux niveaux, avec une belle terrasse qui
surplombe la rivière. On peut prendre sa douche dans un coin,
sur une plateforme en bois. Il y a des hamacs un peu partout. Lits
à baldaquins à voiles de tule.
"- Relaxing, relaxing !"
Fian ne tarit pas d'éloges.
"- Mais on ne fait que se relaxer dans ce pays !?
- C'est une résidence pour riches vous savez. Les riches aiment bien se reposer.
- Vous aimez travailler là ? Vous venez d'où ?
Le jeune homme a un faciès qui n'est pas celui de Bali.
- Oui j'aime travailler ici. Je viens
du Timor. J'ai travaillé à Jakarta, mais ces villes sont
trop bruyantes. Je préfère de loin Bali. C'est vraiment
bien !".
Juste à côté, la River House s'étale sur
trois niveaux. Piscine juste au dessus de la rivière. Les
piliers sont en troncs de cocotiers. Les cloisons en panneaux de teck
sont de purs bijoux. Je reconnais là le style javanais du
travail du bois.
"- Oui c'est le style des artisans de l'est de Java…"
Ce qui est bluffant, ce sont les salles de bain. L'art du "Mandi
Bathing". L'art du bain en balinais. On se douche à
l'extérieur de la maison. Les douches sont installées
dans les murs en pierre envahies par la mousse et les fougères.
Caillebotis. Galets de rivière polis. Camaïeu de gris et
d'ocres.
La dernière villa construite est "New Waterfall House" plus
moderne. Imposant bouddha dans l'escalier vitré de
l'entrée. Ecran géant escamotable. Vidéoprojecteur
dernier cri. Mobilier de Bornéo. Baignoire en ciment
brossé. Petites terrasses où des deck chairs invitent
à la relaxation.
Nous longeons maintenant une piscine qui semble juste remplacer la
terrasse d'une rizière. Le clou du spectacle, c'est "The
Bridge". La "folie" de Linda Garland. Un pont-maison sur la
rivière. Deux immenses poteaux téléphoniques
récupérés (ils sont en Iron Wood !) font la
structure du pont. Linda a fait construire dessus un salon, qui semble
flotter au dessus de l'eau. D'immenses arbres - qui gardent ce lieu
à l'ombre - surplombent le gorge de rochers noirs envahie par
les fougères et autres plantes du couvert de la forêt
tropicale. De celles qui poussent dans la semi pénombre. On
descend dans ce salon perdu au milieu de la forêt par quelques
pierres posées dans la pente. On y entre par une petite porte en
bambou. Deux immenses sofas se font face à face. On
s'écroule à côté des bambous et de la
végétation luxuriante qui dégouline de partout.
L'air frais qui descend la rivière traverse ce salon
génial. Ultime refuge, pendu sous le pont, une nacelle est en
suspension au dessus de la rivière. On y accède par une
petite échelle en bambou. Endroit magique où prendre un
thé, par exemple, à quelques mètres au dessus de
l'eau.
Linda Garland vit dans cette maison javanaise, là, sur la
gauche, qu'elle a démontée et fait construire ici ! Elle
y trouve cette harmonie qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Comment
définir cette bonne femme ? Pour faire trop court, je dirai :
Ethnic - bab - chic.
Comment donc cette irlandaise a t elle débarqué ici ? Et pourquoi Bali ?
Linda parle d'une voix douce.
"- J'ai été
frappée par la façon dont les balinais interagissent avec
la nature. Vous retrouvez cela nulle part ailleurs. Ils sont
habités par une relation très particulière aux
éléments. Et puis la manière dont ils
gèrent la question de sacré est remarquable. Cà
fait partie d'un tout. J'aime aussi cette idée d'avoir une
maison dans la nature."
Nous sommes assis sur un banc en bois, sur une sorte de passerelle
entre deux maisons. Un univers d'eau. Un univers minéral et
végétal. On nous apporte un jus bio de citron et de
menthe pilée. Je réalise tout à coup que rien ne
fait tâche dans l'espace proposé. Ce n'est pas de la
poudre aux yeux, comme dans nombre de résidences pour
milliardaires qu'il m'est arrivé de traverser. Non. Ici tout est
cohérent. Semble à sa place. De bon goût. Une
harmonie, oui. Faite de contrastes parfois, mais aussi de
complémentarité, de juxtapositions judicieuses. Un
univers de matériaux nobles, bruts, utilisés sans
artifice. Mais plutôt avec un sens artistique abouti. Nourri du
poids du passé, et de l'esprit des lieux. L'âme de la
terre dans les objets, les meubles, les maisons.
L'idéal me semble de transcender ces quelques règles de
bon sens de l'habitat vernaculaire, en y injectant quelques innovations
technologiques respectueuses de l'environnement. Nous touchons à
la quintessence de l'architecture tropicale contemporaine. La maison
moderne dans la nature.
"- J'ai regardé faire les
anciens, ici. Les sociétés traditionnelles ont souvent de
simples règles de bon sens qui font que leur habitat est
adapté à la situation. Ce savoir faire séculaire
est une somme de connaissances accumulées au fil du temps,
passant de génération en génération. Du bon
sens, souvent, vous savez. J'ai juste copié un peu,
développé, et imaginé d'autres solutions partant
des mêmes principes simples."
L'humilité est peut être plus facile quand on a un peu
d'argent… Linda Garland vit ici avec son mari business
man, originaire de l'île de Madura. Linda ne fait pas de promo.
Seulement le bouche à oreille. (Si vous insistez un peu, je vous
filerai l'adresse…).
Dans son bureau où deux iMac dernier cri semblent deux bijoux
sur ces immenses tables en bois sombre, Linda a les yeux qui
pétillent quand elle me montre une pièce qui semble
être une essence de bois exotique, d'une magnifique couleur
marron, posée à la verticale contre un pilier.
"- Qu'est ce que c'est ?
- Du bambou !"
Je soulève la pièce, qui doit peser dans les 10 kilos.
"- Incroyable ! Mais on ne voit même pas les fibres ! On dirait du bois !
"- Oui c'est extrêmement dense, très très solide.
"- C'est un nouveau
procédé que nous sommes en train de développer. On
prend environ un mètre d'épaisseur de fibres de bambou,
et on le presse pour arriver à quelques centimètres.
L'idée est de retrouver l'aspect d'un bois exotique. Alors que
les assemblages traditionnels utilisent environ 50 à 60 % de
colle, dans ce morceau on en a mis 2 % seulement ! C'est une vraie
solution technologique durable."
Le fils de Linda, métis, développe cette filière.
Nous sommes assis devant un bosquet de bambous, il affiche un grand
sourire. Quand il parle, ses yeux s'illuminent. Il a une tête de
bonze.
"- Le bambou c'est l'avenir !"
Arif Rabik avance sur les traces de sa mère.
"Aujourd'hui il ne reste plus de bois
d'oeuvre de qualité qui permette de construire des maisons comme
celles ci ! Ou alors il faut faire jouer les leviers de la corruption
pour aller abattre dans les Parcs Nationaux. Certaines compagnies le
font !. Alors il faut trouver des alternatives durables, le bambou est
la matériau idéal pour cela."
Arif est passionné par sa cause.
"- Vous savez, un bambou comme celui
ci (il me montre un bambou d'un dizaine de centimètres de
diamètre ) pousse d'environ 15 mètres en quelques mois.
Il pousse par vagues, au moment des pleines lunes. Il semble se
reposer, puis d'un coup prend un ou deux mètres. C'est
fantastique !"
"Ensuite il faut savoir le couper… Ecoutez, çà c'est une pousse jeune."
Il tapote contre un bambou juste à côté de moi. Le bambou fait un son clair.
"C'est du Black Bamboo", une
espèce qui vient de Chine. Très bon pour la construction.
Là, c'est une pousse solide, c'est en quelque sorte le bambou
à l'âge adulte."
Puis il tapote sur un autre tronc, qui produit un son beaucoup plus
grave, plus mat. Les deux bambous semblent avoir pratiquement le
même diamètre. En fait le bambou le plus âgé
est bien plus solide.
"- Nous travaillons sur des
systèmes d'assemblages. Maintenant on arrive à faire des
assemblages pratiquement sans colle, qui sont extrêmement
solides. On développe un système de chevilles, elles
mêmes en bambou."
Nous discutons un long moment, puis Arif repart vers son bureau. Linda
est partie se reposer dans sa maison. Totalement en
hypoglycémie, ivres de la magie du lieu, nous filons vers la
sortie en titubant. Merci tout le monde.
Dans l'après midi, nous montons sur les hauteurs d'Ubud. J'ai
booké un hôtel un peu top pour tourner un plateau pour le
film. Le genre d'endroit à faire baver tout le monde. Nous
filmons dans les petits pavillons éparpillés dans la
pente et la forêt, puis au bord de la piscine qui reflète
la ligne de cocotiers qui se découpe sur l'horizon, là
bas, sur la crête.
La journée se termine. S'il faut goûter une fois dans sa
vie à un vrai massage, c'est peut être ici. Il faut aller
dans un spa. Celui de l'hôtel où je suis descendu est un
pur délire. Alors j'ai fait chauffé la carte
bleue… Un massage balinais est une expérience totale. Il
faut imaginer qu'on est convié à un véritable
voyage qui stimule tous les sens. Ne vous inquiètez pas les
filles…! C'est un masseur qui s'est occupé de moi. J'ai
pris le kit "aromathérapie". 90 minutes. Le spa, c'est 100
mètres carrés pour soi tout seul. Plusieurs espaces.
Rituel. Bassins à poissons. Fontaines. Terrasses en bois. Patio
zen sous le couvert des arbres. La totale !
Salle de massage. Pieds dans une bassine où flottent de
délicates fleurs exotiques. Long massage aux huiles
essentielles. La journée au paradis continue… Musique
balinaise en sourdine, mixée avec des bruits de vague sur une
plage de sable. Le spa est installé au milieu de la forêt.
La musique se mélange aux sons des oiseaux. Les parfums des
huiles se mélangent au parfum de la terre qui rend son
humidité. J'ai commencé le massage au moment où
ces fameuses fleurs que l'on voit partout s'ouvrent - à la
tombée de la nuit - pour lâcher leur parfum. Au petit
matin elles se refermeront, gardant pour la nuit prochaine leur essence.
Après le massage, courte séquence au hammam, puis jacuzzi
caché derrière des voiles de tule. A côté
les poissons circulent dans un long bassin aux plantes tropicales,
bordé d'un deck en bois exotique. Pour finir on me sert un
cocktail maison : jus de pomme, gingembre, carotte, avec feuille
fraîche de Ginko pour la clarté mentale. Eh bien merci, ce
soir çà va aller question clarté mentale.
Bali sera toujours Bali… ? Heu… oui !
Ce quatrième voyage sur cette île me conforte dans
l'idée que Bali résiste drôlement bien à la
globalisation. Que l'Indonésie est un pays passionnant à
plus d'un titre. Que la multiplicité des modes de vie et
d'habiter est impressionnante. La douceur de l'Asie… Ce festival
d'odeurs, d'illuminations successives. Qui vous imprègne, qui
vous pénétre. (Facile après une journée
pareille !). Stéphane appelle cela "une caresse de l'âme".
Deux poètes en vadrouilles, accompagnés par un
indonésien musulman qui passe son temps à chercher les
hotspots wifi sur son iPod pour régler la logistique et
surveiller le cours du baril. Quelle équipe !
Demain, nous changeons de décor. On va retrouver les mosquées et les femmes voilées.
Direction West Sumatra, où je vais voir les maisons des
Minangbakau, une société matrilinéaire où
les maisons sont la propriété des femmes, et où
les hommes étudient le coran dans des maisons communes.
Allah Akbar again.
=:-)
Sommaire voyage Indonésie
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