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Habiter la terre… Indonésie

Sumatra

Jeudi 29 Mai

Journée de transit.

Bali > Jakarta > Padang > Bukkitingi

Nous continuons notre voyage vers l'Ouest. Dans les grandes métropoles, les manifestations se font plus régulières. Le prix des hôtels et des voitures de location augmentent de jour en jour, malgré les négociations et réservations faites par Yon. Plus 30 % d'augmentation de la taxe sur les carburants, du jour au lendemain !

Vol Bali > Jakarta.

Un nouveau riche à longs favoris grisonnants - caméra en bandoulière qui bute sur tous les sièges de l'avion en passant - installe la jeune fiancée - qu'il vient juste d'acheter - en business class, puis fait justement une image de sa nouvelle compagne.
Mon voisin expatrié - la trentaine filiforme aux tempes déjà grisonnante, en short, baskets et longues chaussettes noires - lit "De zéro à 1 million", sous titre : "Comment devenir un chef d'entreprise millionnaire ?". Je lui dit tout de suite que c'est mal barré pour lui ?
Yon lit "Koran Tempo", un des 300 titres de journaux indonésiens. Il y a près de 2000 radios sur l'archipel…
Escale à Jakarta. On circule à pied entre les véhicules de maintenance, au milieu des avions, sur le tarmac brûlant.
Je rattrape mon journal de bord.

Vol Jakarta > Padang.

Avant dernière étape du voyage indonésien, Sumatra, à plus de 1000 kilomètres à l'Ouest de Jakarta. Les faciès changent dans l'avion. On reconnait l'influence indienne, et aussi chinoise.
D'énormes cumulonimbus se forment, qui percent trois couches de nuages sucessives. Le ciel est une leçon de météo tropicale. Sumatra est un des records mondiaux de pluviométrie. Nous débarquons à Padang sous des trombes d'eau.

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Padang fut un centre commercial important du temps de l'occupation hollandaise. Un port où en embarquaient les épices. On y retrouve les marques dans l'architecture. Les deux colonnes devant les maisons, qu'on a vu à Yogjakarta. Les camions poussifs roulent au ralenti, à la queue leu leu, sur la TransSumatra, qui relie Medan à Badar Lampung. Une simple route à deux voies en fait. Arrivée plus que nocturne à Bukittinggi, ville de 500 000 habitants, à 1000 mètres d'altitude, au pied d'un volcan.


Vendredi 30 Mai

Les îles se suivent mais ne se ressemblent pas.

Je ne vais rien vous apprendre, mais le temps nous est compté. Chaque minute, l'équivalent de la surface de 6 terrains de football de forêt disparaît en Indonésie. Une déforestation pour les besoins de l'industrie du papier, et pour produire de l'huile de palme. L'exploitation se fait par des compagnies indonésiennes souvent basées à Singapore. Utilisation sur place (Singapore est un énorme site d'édition) mais aussi export vers le continent nord américain et l'Europe. Les défenseurs de l'environnement en Indonésie surveillent aussi de près les décisions européennes : la moindre politique en faveur des bio carburants a une incidence énorme sur le pays.

La stratégie est simple : les compagnies obtiennent une autorisation des administrations de gestion durable des forêts, mais trichent ensuite sur les lieux réels de coupe. Avec l'aide des villageois, ils vont traquer les moindres secteurs encore prometteurs. Parfois, en bénéficiant d'appuis locaux corrompus, ils vont même jusqu'à aller couper dans les zones protégés (Parcs Nationaux). Parfois même ce sont les militaires qui font pression (ou tuent s'il le faut, comme ils l'ont fait à Sumatra, dans certaines tribus) pour convaincre les villageois de les laisser couper leurs bois.

Et puis, régulièrement, il y a les incendies de forêt. Souvenez vous, en 2002, les incendies de Kalimantan. Profitant d'une période de sécheresse relative, les exploitants ont mis le feu. Des milliers d'hectares ont disparu. Un fort vent d'Est poussait la fumée vers tout la continent asiatique. A Kuching, au Sarawak, la visibilité était de 10 mètres. Le nuage de fumée était si grand qu'il obscurcissait le ciel de la plupart des métropoles de l'Asie du Sud Est. Kuala Lumpur, en Malaisie, était recouverte. A Bangkok, on ressentait encore les effets de cet incendie gigantesque. L'incendie a duré des semaines…

Cette année les feux ont repris, à la fin de la saison des pluies. La forêt brûle parce qu'on y met le feu. Dans le hall de l'hôtel, il y a une photo incroyable : un massif montagneux de Sumatra, avec des canyons qui découpent un haut plateau rocheux. Tout le sommet des montagnes, ce sont des dunes de sable. Incroyable ! Un véritable désert suspendu.
D'abord on déforeste. Des coupes franches. Puis on vend la couche de terre arable ! Les pluies suivantes, et le vent transforment le sol en désert… J'avais déjà vu cela à Bornéo, la terre arable chargée sur des barges à destination du Japon… Un pays qui vend sa terre…
Il faut avoir passé du temps dans ces fabuleuses forêts primaires pour sentir ce que représente le désastre de ces incendies gigantesques. A Bornéo, on marche au pied d'arbres géants. La canopée s'étend à plus de 50 mètres de hauteur… Avec des arbres émergents à 80 mètres ! Fabuleux.

Sumatra fait les frais de cette mise à mort inéluctable, car bénéficiant d'appuis dans tous les secteurs économiques et politiques. Ici, à Bakittinggi, nous sommes dans un secteur relativement protégé, au coeur de la chaîne de montagnes. Pas très loin, il y a les Parcs Nationaux, avec les éléphants, les tigres. A l'automne, avec un peu de chance, on peut assister à la floraison de la plus grosse fleur du monde, le célèbre Rafflesia.

Nous filons à Batusangkar, la porte d'entrée du Tanah Datar, une région considérée comme le berceau historique de Sumatra. C'est le fief du peuple Minang : 8 millions de personnes, originaires des hauts plateaux de Sumatra.
Je cherche une "Rumah Gadang", la maison traditionnelle Minangkabau. Les maisons Minang sont exceptionnelles. Elles ont une architecture étonnante, avec leurs toits en forme de cornes de buffles. L'étymologie populaire fait provenir le nom Minangkabau des mots minang ("victorieux") et kabau ("buffle"). Selon la légende, ce nom proviendrait d’une dispute entre les Minangkabau et un prince voisin du Majapahit. Pour éviter une bataille, le peuple avait proposé de faire se battre à mort deux buffles, chacun représentant une des parties. Le prince amena le plus grand et agressif des buffles, mais les Minangkabau rusèrent en amenant un bébé buffle affamé, dont les cornes avaient été taillées de manière à être aussi aiguisées que des lames de couteau. Voyant le buffle adulte au milieu du champ, le bébé couru vers lui espérant du lait. Le grand buffle ne voyant aucune menace de la part du bébé ne lui prêta pas attention, cherchant un adversaire à sa mesure. Quand le bébé chercha fouilla en cherchant une éventuelle mamelle, il blessa mortellement le buffle et apporta la victoire au peuple Minangkabau.

Jusqu'à l'an dernier il restait deux palais étonnants, derniers vestiges de l'époque des rois et princes de Minangkabau. Le Palais de Pagaruyung a brûlé l'an dernier ! La foudre est tombée sur le toit de chaume. A Batusangkar, nous faisons halte au Palais Siliduang Bulan. Toits pointus, intérieur kitch à souhait, trois énormes essaims de guêpes ont élu domicile dans la charpente et sur les fenêtres !

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Nous longeons maintenant le lac Singkarak. A l'endroit où la rivière qui l'alimente serpente entre les cocotiers, il y a le petit village de "Desa Seberang Air Taman". Ouf ! Nous franchissons le pont et glissons entre les rizières. Plusieurs maisons en bois magnifiques, abandonnées. Celle ci est bien habitée. Par l'ouverture d'une porte, j'ai croisé le regard rieur de cette femme. Un bon feeling. Nous avons fait demi tour et maintenant on s'approche.
"- Selamat piang !
- Selamat Datang !"
Partout en indonésie nous sommes accueillis avec de grands sourires. Yusnimar est la patronne de cette maison. Je monte la volée de marches en bois et rentre dans le "pangkalan", l'espace commun, semi public. Le soleil fait des tâches de lumière sur les panneaux de bois rustique. Sur la gauche, un homme répare ses filets de pêche. Plus loin les gamins jouent sur les nattes. Juste en face, la femme avec qui nous discutons s'est assise sur le seuil de la porte qui mène à la cuisine. Dans l'ombre une dame plus âgée s'occupe d'un bébé.

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La maison Minang, c'est un grand espace commun, puis une série de pièces côte à côte. Dans cette maison, face à l'entrée, un couloir mène à la cuisine. Les toits de chaume traditionnels ont été remplacés par de la tôle ondulée toute rouillée, qui s'harmonise finalement pas si mal avec le bois. Comme le toiture est très haute, et parce que nous sommes à près de 1000 mètres d'altitude, il ne fait pas trop chaud à l'intérieur. J'avance sur le plancher en mauvais état. Une planche cède sous mon poids ! Sinistre craquement d'une pièce de bois affaiblie par l'attaque des insectes. Mince ! Tout le monde rigole. Ce n'est pas grave pour eux. Le sol en grosses planches de bois tropical à moitié vermoulu a été rafistolé avec des petits bouts de contreplaqué…

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Midi. L'appel à la prière, de la mosquée voisine. Nous avançons sur une petite ruelle, entre deux rangées de maison, pas loin du pont. Une mosquée au dôme rouillé, un peu atypique. Une mosquée en chantier ! Rafale de sandales posées à l'entrée du chantier sur les fers à béton. Abblutions préliminaires dans les pièces d'eau annexes. Puis nous avançons vers la salle de prière, ouverte à tous vents. Yon et le chauffeur s'accroupissent sur les tapis. Je reste poliment dans ce qui fait office d'entrée.

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La mosquée est construite en bois, et on est en train de la transformer en un bâtiment en dur. Coffrages au milieu des piliers de bois. Tambour traditionnel de Sumatra, dans un tronc de cocotier. Hors d'usage.
Allah Akbar. Prière. Je suis séparé de la rangée de fesses en l'air par deux sacs de ciment de marque "Indocement". Je ne peux m'empêcher de sourire à ce raccourci symbolique : l'islam comme ciment de l'Indonésie…

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La prière est finie, les hommes s'éparpillent dans le village. Je m'approche de l'imam, tout sourire. Nous entamons la conversation.
"- Vous voyez, c'est une mosquée à quatre dômes, avec un dôme central. C'est le symbole des quatre communautés du secteur.
- Vous la refaites complètement ?
- Vous savez, ce que vous voyez c'est la mosquée telle qu'elle fut construite à l'origine. Elle date de 1930. Là, on voit la vieille structure en bois, et là on est en train de refaire tout en béton armé. Le bois était en trop mauvais état.
- Vous faites les prières au milieu du chantier, et pendant la semaine les travaux ?
- Oui les villageois viennent aider l'entrepreneur, nous la refaisons petit à petit, chaque semaine."

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Il y avait ici, dans le district de Singkarak un Oulama qui prônait l'ouverture. Alors que le peuple Minang établissait une stricte séparation des genres dans les maisons, l'islam a permis que les femmes se mélangent aux hommes. Nous sommes dans le fief de l'Islam modéré indonésien. L'Islam en Indonésie n'est pas un Islam de conquête. C'est un Islam de marins et de commerçants. En avançant au fil des siècles du Moyen Orient vers le Pacifique, il s'est frotté aux religions et systèmes de pensée qui l'ont précédé. Il les a d'une certaine manière respecté, et s'est lui même transformé. Par exemple, ici, en pays Minang, il arrivait sur un terrain animiste et hindouiste. Au moins jusqu'à la fin du 20 ème siècle, il en fut ainsi.

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Aujourd'hui, c'est vrai, les choses changent. Un autre islam vient de l'étranger. Il s'est développé dans la région centrale de Java, notamment à Solo - en réaction à l'Islam jugé trop modéré. Puis il tente d'essaimer dans tout l'archipel. Yon a vu, sur la côté est de Sulawesi, des bateaux remplis de pakistanais et afghans armés jusqu'aux dents, débarquer suite à l'intervention américaine en Afghanistan. Venus se réfugier dans les nombreuses îles de cet archipel, et fomentant des contre attaques.

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Sur la route qui rentre vers Bukittinggi, nous nous arrêtons devant un atelier qui fabrique les dômes et décorations des mosquées. Des rangées d'étoiles et croissants en aluminium ou en acier inoxydable (plus cher !). L'artisan vient de Java (Yogjakarta). Il sort le catalogue.
"- Je peux en faire de tous les diamètres. Jusqu'à 14 mètres de diamètre. On fait un échafaudage en bambous, et on assemble par dessus.
- Et celle ci, c'est quoi ?
- Cà c'est un nouveau modèle, regardez çà tourne, c'est pour l'aération. Tenez, voici ma carte de visite ! Vous savez, l'an dernier la télévision pakistanaise est déjà venue faire un reportage sur moi…!"

Les ouvriers doivent avoir tout juste 20 ans. On a fini tôt aujourd'hui, parce qu'ils ont bien travaillé, et qu'il a fait très chaud aussi. Le patron a fermé la boutique à 16 heures. On joue à la guitare sur la terrasse, en regardant arriver la pluie.

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Des trombes d'eau en rentrant sur Bukittinggi. Au bar de l'hôtel - seul endroit où on accroche le Wifi - trois femmes voilées chantent en karaoké, devant le match de base Ball américain retransmis sur ESPN. Les voici maintenant qui attaquent en jerk mâtiné de danse country (!) un standard de rock US. Les hommes s'empiffrent de chips en envoyant des textos. J'ai la tête qui vibre de toutes ces images.



Samedi 31 Mai


Le marché de Bukittinggi est haut en couleurs… Marché de gros pour toute la région. Nous y faisons trois courses en courant, pour ne pas arriver les mains vides chez Yusnimar. La pluie de cette nuit a transformé les allées en bourbier. On se réfugie sous les immenses hangars ouverts où toutes les échoppes s'entassent. Epices, légumes de toutes sortes, viandes, poissons. Festival de couleurs et d'odeurs. Tout le monde veut se faire prendre en photo. On pourrait y passer la journée.

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Nous retournons au Lac Singkarak. La route zigzague entre les rizières et les cocotiers, au pied du volcan. Noria de camions. Charrettes à cheval. Un homme tire une carriole remplie d'une énorme pyramide de noix de cocos, au beau milieu de la circulation. Des dizaines de canards se dandinent sur le trottoir, avant de plonger dans une rizière. Travaux des champs. Riz, mais aussi maïs et autres légumes. Certaines femmes ont à la fois le voile et le chapeau pointu. Une ancienne voie ferrée serpente dans la vallée. Elle date de l'époque coloniale. Des milliers d'indonésiens ont donnée leur vie pour construire cette immense voie ferrée, qui traverse toute l'île de Sumatra, depuis Aceh jusqu'à Bandar Lampung.

Village de Desa Seberang Air Taman.
Nous retrouvons Yusnimar, assise fièrement devant sa maison, gardienne de son patrimoine. Je ne devrais d'ailleurs pas parler de patrimoine, puisqu'ici, littéralement, on parle de "matrimoine". En effet, le peuple Minang est une société matrilinéaire. (Pour ceux qui ont vu - ou lu - le voyage chinois, vous allez croire que je me spécialise…!).
Une étonnante histoire. La terre et les biens sont la propriété des femmes. La femme est sédentaire, propriétaire, héritière principale. L'homme est un invité, gestionnaire, voyageur (bref, de passage…). On hérite de mère en fille. Ici - à l'inverse de tellement d'autres pays du continent asiatique - quand elle naît, "une fille vaut deux garçons".


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La maison est intéressante, parce qu'on y voit bien la structure bien particulière des maisons Minang. Celle de Yusnimar est une maison à 20 piliers, construite en 1940 par son arrière grand père. A partir d'une série de piliers, on peut assembler la charpente, puis on pose les poutres et le plancher. Pas de meubles. L'espace commun, le "Pangkalan", est semi public. On y reçoit les invités. Puis la pièce la plus "privée" est la chambre de la maîtresse de maison. Yusnimar, un instant timide, ouvre cette porte en rigolant, gênée d'y faire entrer un étranger. Elle me laisse rentrer à l'intérieur, découvrant un vieux lit et quelques affaires éparses, mais part à l'autre bout de la pièce principale en éclatant de rire.

Traditionnellement, il y avait une rotation circulaire des femmes, dans le sens des aiguilles d'une montre. Je m'explique. Imaginez cette grande pièce, avec quatre portes donnant sur la salle commune. On commence par la gauche. La première chambre. Les filles - jusqu'à ce qu'elles soient en âge de procréer - restent dans l'espace commun, dormant sur des nattes. Puis au moment du mariage, elles occupent la chambre de gauche. Puis, quand une nouvelle fille de la maison est en âge de se marier, la maîtresse de maison du moment lui laisse sa chambre, et passe dans celle d'à côté. De génération en génération, on glisse de la gauche vers la droite. Petit à petit, on pousse les anciens de pièce en pièce, et finalement ils se retrouvent pas loin de la fenêtre !

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Même dans l'espace commun, il y avait une organisation spatiale très précise. Les invités devaient rester côté entrée, les membres de la famille étant assis en face. Le pilier de droite était un peu réservé aux anciens. Bien sûr ces règles tendent à disparaître aujourd'hui.
"- Avant, quand un étranger arrivait, on n'avait pas le droit de rester là, il fallait qu'on aille se cacher dans les chambres !" dit en rigolant la voisine.

Au niveau du sol, il y a l'espace réservé aux animaux. La famille de Yu y élève quelques poules. Le mari de Yu est pêcheur, il vend ses poissons au village voisin. Il travaille aussi de temps en temps dans les rizières, pour donner un coup de main au moment des récoltes. Ils ont des bananes, mais ne font pas de légumes. Ils n'ont pas beaucoup d'argent.

Nous nous sommes tous retrouvés dans la cuisine. Le tremblement de terre de l'an dernier a démoli la cuisine, alors ils en ont refait une, avec les moyens du bord. Une petite pièce au sol en ciment, avec des murs en tôle. La cuisson des aliments se fait à l'extérieur, sur deux foyers grossiers. Yusnimar a convoqué ses voisins pour lui donner un coup de main.

"- C'est qui le boss ici ? C'est vous ?
- Oui ce sont les femmes qui tiennent la maison, qui sont propriétaires des terrains et des biens.
- Et les hommes alors ?
- Vous savez, les hommes nous aident aussi à faire la cuisine, mais seulement pour les grandes occasions, comme les mariages ou les décès."

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Nous mangeons maintenant, assis par terre, tous les plats posés sur les nattes. Riz, légumes, sauces piquantes, poissons.
Nous mangeons, c'est à dire les hommes. Les femmes sont à l'autre bout de la pièce. Elles ont commencé par quelques bananes, mais vont attendre que les hommes aient fini le repas pour commencer à manger. Il est deux heures de l'après midi, je suis en totale hypoglycémie, je me jette sur le riz. Quand je leur demande pourquoi les femmes mangent à part, j'ai cette réponse :
"- Ada Appa Appa Sms !" rigole un des hommes. (çà veut dire : s'il se passe quelque chose, on s'envoie un texto !). Tout le monde éclate de rire. Tout le monde dit cette phrase, à la fin des discussions, en Indonésie, pour un oui ou pour un non.
"- C'est vrai, on pourrait leur envoyer des textos, aux femmes, là bas, à l'autre bout de la pièce !"
Les indonésiens ont le sens de l'humour.

Sieste bénéfique sur les nattes, au son des gamins qui se chamaillent. Entre les lames du plancher, j'aperçois le chien de la maisonnée, un chien de chasse. Les hommes partent de temps en temps en battue au cochon sauvage, pendant plusieurs jours, en forêt. L'après midi disparaît le temps d'un nuage qui grossit derrière les cocotiers.

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En fin de journée nous descendons sur Padang, sur la côte.
D'abord une grande gorge, entre les montagnes, envahie par la forêt tropicale. Cascades au milieu des arbres. Rivière qui descend entre les pierres. La circulation est dense sur la "Trans Sumatra" : files de camions dans les deux sens. Et puis c'est samedi soir, on monte en week end dans les montagnes, ou on descend faire la fête à Padang. Deux singes se prennent en levrette sur le parapet blanc. Cà fait rigoler tout le monde dans les bagnoles.
Puis c'est la plaine. Encore une bonne heure de route, qui consiste principalement à éviter le choc frontal avec ceux d'en face. Nous arrivons saoulés de trafic à Padang à la tombée de la nuit. On s'engouffre dans l'hôtel au moment où un gros orage tropical s'abat sur la ville. Il doit faire encore 30 °C, et l'air est saturé d'humidité. Dans l'ascenseur, il y a un immense indonésien avec une toque en fourrure polaire de David Crockett…!!!
Breaking News. Sur le canal 27 de la télévision, CNN diffuse des images du séisme en Chine, mais la réception est mauvaise. L'image se brouille petit à petit, victime de l'orage ou peut être d'un oiseau posé sur l'antenne satellite. Les voix et sons s'éloignent. La télévision devient pendant quelques minutes un pur chef d'oeuvre d'art abstrait.
Demain nous partons pour la dernière étape de notre voyage : l'île de Nias, où les autochtones ont su - au fil du temps - construire des maisons qui résistent aux tremblements de terre.

=:-)


Sommaire voyage Indonésie

Etape suivante : Nias

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