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Habiter la terre… Indonésie

Sulawesi

Mercredi 14 Mai


Jakarta > Makassar

5 h 00 du matin.
Une sirène hurle dans la nuit. Un étrange convoi nous double. En tête de cortège, une camionnette avec des girophares. Puis une file de gros 4 X 4 aux vitres teintées. A l'avant, des hommes en turbans qui font signe aux véhicules de se ranger sur le côté. Yon - notre "fixeur" - peste contre ce groupe. Yon est de religion musulmane, mais il ne comprend pas ces groupes fondamentalistes qui prennent de plus en plus de pouvoir dans son pays.
Welcome in Indonesia !

Nous roulons à tombeau ouvert sur une des voies rapides qui surplombe la ville. J'expérimente Jakarta et son urbanisation anarchique.
Ici, on a comblé les mangroves pour assurer l'expansion de la ville. Au delà du centre, les bidonvilles grandissent à toute allure. Dans les embouchures de rivières, sur des centaines d'hectares, les marécages ont fait place à des élevages de poissons. On utilise la place au maximum pour absorber l'expansion démographique galopante.

Hier soir, sur le télé de l'hôtel, les images de la Chine dévastée par le tremblement de terre. Puis celles de l'aide internationale qui peine à entrer en Birmanie après le cyclone Nargis. J'aperçois aussi qu'on se bouscule sur la croisette. Souvenirs…
C'est un nouveau voyage qui commence, dans cette série d'exploration de l'habitat dans le monde. Après la Chine, voici l'Indonésie. Plus de 17000 îles. Un archipel d'une mosaïque ethnique incroyable. Je suis venu voir ici comment on construit les maisons dans cet archipel qui s'étire sur plus de 6000 kilomètres entre l'océan indien et l'océan pacifique.

Vol Jakarta > Sulawesi.
L'avion longe la côte puis pique au nord pour deux heures de traversée vers l'archipel des Célèbes. J'ai toujours voulu venir ici… Je ne sais pas pourquoi. Un nom qui sonne bien sur un atlas. Il y a quelques années, j'étais juste en face, à Bornéo, et je regardais sur les cartes cet endroit qui m'attirait. Les Célèbes… D'ailleurs on dit Sulawesi maintenant.

Le boeing 737 de la Garuda Indonesia pique sur les rizières. Au fond, une chaîne de montagnes. Je reconnais un relief karstique typique : des sortes de pinnacles couverts de forêt tropicale.
Makassar. 3, 5 millions d'habitants. La quatrième ville du pays. A l'aéroport, je change pour 27 millions de roupies… je vous jure que çà fait beaucoup de billets ! Interminable chantier d'une voie rapide. Les derniers modèles de Toyota aux vitres teintées croisent des paysannes en chapeau de paille tressée qui poussent leurs vélos. Cà y est, nous voici en Asie.

Le centre ville est encombré d'immenses embouteillages. "Allah Akbar". Mosquées et toits de tôle rouillées. Manifestation du Mueslim Student Mouvement. En un mois le prix des produits de première nécessité a doublé et parfois même triplé ! Une explication simple à cela : l'annonce de l'augmentation prochaine du prix des carburants. Tout le monde en a profité pour augmenter les prix. Alors la rue manifeste. Dans la perspective des élections présidentielles de 2009, les partis politiques chauffent leurs troupes.

Ce soir, l'Indonésie, par un magnifique match du plus fort joueur du monde, a battu en badminton l'Angleterre, dans les quart de finales de la Thomas Cup. Cà ne nous empêche de dévorer deux truites de corail grillées aux épices, avant d'aller sombrer dans un profond sommeil réparateur. Des forces, on va en avoir besoin : demain nous filons vers le nord. Entre huit à douze heures de voyage (!?), pour aller explorer le pays Mamasa, une ethnie voisine des Toraja.

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Jeudi 15 Mai

Oui, c'est bien 12 heures de voyage…

Une longue journée, qui commence à 4h30, par la longue prière du muezzin, depuis le minaret de la mosquée juste voisine de l'hôtel.
Anton est notre chauffeur, au volant d'un monospace climatisé aux suspensions inexistantes et aux pneus quasiment lisses.
Nous avions booké un 4 X 4 mais le mec de l'agence nous a enfumé. Yon n'est pas content, je me fais une raison, nous prenons la route.
Peu de temps après Makassar, la voie rapide se rétrécit pour devenir une simple route étroite au goudron bosselé, qui doit absorber tout le trafic entre les villes de l'ouest de l'archipel… A droite la chaîne de montagnes. Coup d'oeil sur l'atlas : Sulawesi culmine à plus de 3000 mètres d'altitude. A gauche un paysage de rizières, avec la mer, de temps en temps.

Nous longeons la côte Ouest en remontant vers le nord, en direction de Polewali. Les bâteaux de pêche sont en sale état, un peu à l'abandon. On élève des crevettes dans d'anciennes rizières. Le soleil de la mi-journée tape sur le dos des buffles qui pataugent dans la boue.
Je me régale de voir défiler ce paysage tropical, aux habitations réparties un peu partout dans les bosquets d'arbres. Des maisons sur pilotis, aux toits de tôle ondulée. Au niveau du sol, on installe un grand lit en bois ou un hamac, pour s'étaler aux heures chaudes.

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Arrêt de midi à Pare Pare. Une terrasse domine la ville. C'est la grande prière de midi. Plusieurs minarets dominent la ville en bord de mer. Il fait d'un coup une chaleur totalement écrasante. Pas un brin d'air. La moiteur de l'Asie, les vêtements qui collent à la peau. Difficile de ne pas tomber dans la torpeur du jetlag.

Encore deux heures de route pour rejoindre Polewali, une ville côtière, où nous bifurquons pour nous enfoncer dans les montagnes. Tout de suite la route serpente dans la végétation tropicale, puis se transforme très vite en piste pourrie. La circulation s'est tout à coup calmée. Il nous reste 90 kilomètres à parcourir pour atteindre Mamasa. Il nous faudra 6 heures…! Une pause dans un virage. Magnifique vue sur les rizières, en bas. Là bas, il y a une fumée qui monte doucement dans les arbres. Il y a du monde qui habite partout dans les montagnes. On voit briller les toits de tôle un peu partout.

La piste monte en lacets dans les arbres. Nous roulons à 10 kilomètres à l'heure depuis plusieurs kilomètres… Les nuages se forment sur les sommets.  Juste avant le col, une sorte d'immense portique en béton, surmonté d'un toit baroque : nous voici en pays Mamasa. Les Mamasa constituent une ethnie particulière de Sulawesi.
La route - devenue un instant meilleure - plonge dans une vallée verdoyante. Pendant quelques minutes il y a une lumière extraordinaire qui vient éclairer une ligne de crête au deuxième plan. En vain nous cherchons une trouée pour faire un plan, à travers les arbres.
La nuit tombe d'un coup. De temps en temps nous croisons un véhicule ou une moto. Les gens vivent aussi au bord de la route. Le goudron était un court répit. La piste redevient pourrie. Nous bondissons dans les ornières. Cela n'en finit pas.
Nous avons fait une pause. La tête qui bourdonne de toutes ces secousses. Le vacarme de millions d'insectes qui bruissent dans la nuit.

C'est reparti.
La piste - ou ce qu'il en reste - n'en finit plus. Il y a toujours ces énormes nids de poule. Maintenant on entend une rivière. Tout à coup, c'est le vibreur du portable qui me sort de la torpeur dans laquelle j'avais sombré. Si on accroche un réseau, nous ne devrions plus être très loin. Effectivement, encore un ou deux virages, et voici quelques lumières. Mamasa, enfin ! Hésitations nocturnes devant des carrefours sans indications. Arrivée au "Mamasa Cottage". Juste devant les rizières, la source d'eau chaude, avec une forte odeur de soufre. La lune projette sur l'eau les ombres mouvantes des palmiers.


Vendredi 16 Mai

Pas un nuage ce matin.
La petite terrasse du lodge donne sur une rizière et des bosquets de bambous, éclairés par la lumière tendre du matin. Vert "rizière" et ballet de libellules à contre jour. Merveilleux.

Nous traversons Mamasa, ville construite le long de la rivière , dans une cuvette naturelle, dominée par un sommet à plus de 2400 mètres d'altitude. J'ai peine à croire qu'il y a ici 200 000 habitants ! L'Indonésie compte plus de 250 millions d'habitants, c'est vrai qu'il faut bien les mettre quelque part, mais quand même. On a l'impression d'une bourgade de taille moyenne. L'urbanisme est tellement différent. Ce qui est étonnant aussi c'est d'arriver dans une si grande ville par une piste aussi pourrie. Oui, la route que nous avons empruntée hier, c'est l'unique voie d'accès à Mamasa.

Nous la redescendons maintenant, cette route, pour aller chercher une piste en direction du village de Ballapeu.
Il y a le trafic du matin. Camions qui montent vers le chef lieu du district. Cohorte de motos qui pétaradent. Vélos, charrettes à bras, chevaux qui portent des sacs de riz.
Plus loin, les hommes cassent des pierres, après les avoir fait glisser depuis la pente sur la route. Sans pour autant bloquer la circulation… Ils s'acharnent là haut, à plus de dix mètres au dessus de la circulation, à la barre à mine, et de temps en temps laissent glisser des pierres dont ils essayent d'anticiper la trajectoire…

Nous avons changé de versant.
Tout de suite après le pont au dessus de la rivière, la piste monte raide sur un mamelon. Puis longe la petite rivière. Au détour d'un virage, la piste s'est effondrée dans le ravin. L'eau de ruissellement l'a transformée en bourbier. Nous patinons à nouveau.
Nous franchissons maintenant un pont en bois branlant. Il y a deux hommes assis à l'ombre, qui nous disent qu'il est impossible d'aller plus loin ! Comment faire !? Ballapeu est encore à plus de 6 kilomètres, et beaucoup plus haut en altitude. Il nous faut affréter des motos. En voici une. Yon entame la discussion. L'homme part chercher des collègues, et revient quelques minutes plus tard.

Nous voici partis sur cette ancienne piste qui a servi à déforester le secteur, et où la végétation reprend petit à petit le dessus. Il ne reste qu'un passage pour les motos maintenant. Un chemin qui se transforme en sentier. J'ai laissé à Yon - vu son léger embonpoint - le chauffeur le plus costaud. J'ai choisi le plus looké, sur sa moto aux jantes roses fluo… Stéphane, quant à lui, hérite d'un pilote plus jeune. Les trois ont l'air fiables.
Bambous, rizières, longues herbes qui chatouillent les mollets. Nous dépassons un groupe de villageois qui remonte en direction du village, pelles et pioches sur l'épaule. Ils travaillent à rafistoler comme ils peuvent le chemin, pour que des véhicules puissent l'emprunter.

Voici Ballapeu. Quel endroit !
Nous arrivons dans un village aux maisons alignées sur une arête, entourées d'immenses bosquets de bambous. Les motards repartent, en nous donnant rendez vous à 16 heures.
Nous rencontrons le chef de la communauté. Elu depuis 3 ans, c'est lui qui règle les affaires courantes, et qui fait le lien avec le responsable du district. Un homme paisible. Avec ses villageois dévoués.

Les Mamasa ont conservé vivant leur habitat traditionnel. Le village est constitué d'une longue rangée de maisons qui serpente sur la crête. Toutes orientées de la même manière, face à l'Est. L'Est c'est "Puang Matua", le symbole du créateur. Les toits sont en forme de coque de bateau renversé, comme chez les Toraja, ethnie voisine. La légende raconte que ces peuples seraient venus de la mer, et qu'ils auraient fui l'islam pour se protéger dans les montagnes. Mais l'explication la plus plausible c'est une explication à la fois structurelle et symbolique. Les avancées de toiture font une place commune à l'ombre. Une technique utilisée aussi en Papouasie Nouvelle Guinée.

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Nous sommes invités dans une famille de Ballapeu (on prononce "Ballapéou").
La maison est construite sur pilotis, pour isoler de l'humidité, des rongeurs. Sous la maison, on stocke du bois, on élève les volailles.
Les toitures sont en herbe. Une longue herbe que les Mamasa trouvent de plus en plus difficilement. Alors on remplace l'herbe par l'inévitable tôle ondulée. Le problème c'est que la chaleur est absolument étouffante à l'intérieur. On a coupé toute la ventilation naturelle de ces toitures traditionnelles semi-perméables, qui laissent passer l'air frais, et parfois aussi quelques gouttes à la saison humide. Plusieurs pièces rectangulaires se succèdent depuis la terrasse. Les portes sont des sortes de trappes basses en panneaux de bois coulissants. Il faut s'accroupir pour passer d'une pièce à l'autre. Pas de meuble. Quelques nattes qu'on déroule pour dormir.

Dans les maisons aux toits en tôle, on a abandonné la cuisine traditionnelle (plus d'évacuation pour la fumée). Alors on a installé la cuisine à l'arrière, dans une pièce minuscule. Un support en bois recouvert de terre sert de foyer. La fumée passe à travers le stock de bois, situé au dessus. Le genre de foyer que j'avais déjà vu à Bornéo, dans les "longhouses" des Dayaks.

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A l'avant de la maison il y a la terrasse, sous la partie relevée du toit. Une des pièces maîtresse de la structure est un pilier qui supporte l'avancée du toit sur le devant de la maison. Symbole de puissance, le pilier est décoré de cornes de buffles. A chaque décès, la famille sacrifie un buffle. Ainsi le pilier est parfois couvert d'une vingtaine de cornes. Il indique aussi l'âge de la maison. Ces sacrifices coûtent d'ailleurs très cher à la communauté, le district cherche une façon de se passer de cette coutume. Ces piliers en bois travaillé sont taillés à la main dans une espèce de bois local extrêmement dense. Une espèce de bois que les Mamasa ont de plus en plus de mal à trouver, à cause de la déforestation.
Juste en face de chaque maison, il y a une véritable maison miniature, répliques des habitations, construite sur des pilotis en bois massif. Il s'agit des greniers à riz. Posés, eux, sur de solides madriers en bois massif. Fermés au cadenas, le riz est la seule richesse ici.

Agitation momentanée : un brancard descend d'un village voisin, porté à dos d'hommes. Nous apprenons qu'il s'agit du beau frère du chef de Ballapeu. Le convoi est parti du village à 7 heures du matin, il arrivera au pont où nous avons laissé la voiture à 14 heures…

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Nous montons sur la colline, pour avoir un point de vue général sur le village. D'ici on voit très bien la disposition des maisons en rangée sur la crête. On réalise aussi l'ampleur de la déforestation. Il ne reste qu'environ 20 % de la forêt, sur les pentes inaccessibles. Ont résisté aux coupes franches seulement quelques arbres émergents, jugés difformes par les forestiers, et les bosquets de bambous…

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Retour au village, à l'heure où on sort des terrasses pour s'activer avant la nuit. La lumière est de plus en plus belle. Lumières douces sur visages burinés des anciens, qui profitent de la fraîcheur sous les greniers à riz. Jeunes qui se chamaillent sur l'allée centrale. Quelques femmes étalent leur riz pour le faire sécher. Ici on ne vend même pas le riz, on l'utilise pour la consommation personnelle. Une vraie agriculture de subsistance, en autarcie. Quelques poules, quelques buffles, quelques légumes. Et le riz, bien sûr. Toujours.

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16 heures. Ponctuels, les motards sont là.
Nous descendons par un autre chemin, un peu plus long, mais magnifique, qui serpente entre les arbres et les rizières. Nous zigzaguons d'un côté à l'autre du vallon. Cris des villageois qui résonnent. Aboiements des chiens sur notre passage. La moto glisse doucement, la température est parfaite. C'est un moment absolument délicieux.


Samedi 17 Mai

Mamasa > Parepare
Nous sommes repartis vers le Sud. La piste est tellement pourrie que je ne veux pas refaire l'expérience d'une journée comme celle d'avant hier, qui était trop éprouvante. Qui plus est, je voudrais aller jeter un oeil au Lac Tempe. Il nous faut gagner un peu de temps aujourd'hui.

Nous découvrons de jour la piste que nous avons faite de nuit il y a deux jours. Partout la déforestation a fait des ravages. Il ne reste que les sommets des montagnes encore recouverts de forêt tropicale, et les fonds de gorge aux pentes trop raides pour l'exploitation. Les espèces de valeur ont été raflées. Exportées vers les pays riches voisins, et aussi l'Europe. On aperçoit des maisons très haut, là bas, sur les pentes. On continue d'exploiter les quelques arbres qui restent, et ceux qui étaient inaccessibles aux engins forestiers en débardant à la main, coupant sur place les planches de bois d'oeuvre, et les descendant à dos d'homme dans la vallée.

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Chaque fois que le terrain le permet, les villageois ont aménagé des rizières. Un sacré boulot… En plus du travail nécessaire pour planter et replanter le riz, il faut aussi le protéger des oiseaux pendant la journée, et des cochons sauvages pendant la nuit. Contre les oiseaux, on a trouvé un système : des pieux en bambous portent des morceaux de tôles. Ces épouvantails sont reliés entre eux par un système de ficelles, centralisées sur une plateforme construite à deux mètres au dessus du riz. Les gamins sont chargé de surveiller ces minuscules oiseaux. Ils passent leur journée sous ces abris de bâche en polyéthylène, se relayant pour secouer les ficelles, provoquant un cliquetis métallique aux multiples sonorités. En profitant parfois pour aller pêcher dans le ruisseau voisin.

Une crevaison nous oblige à réparer dans une échoppe. A l'ancienne. Scie à métaux pour râper la chambre. Pièce de métal chauffée au chalumeau pour faire fondre le caoutchouc. On attend un moment, le temps que çà refroidisse, le temps de prendre des nouvelles, puis on regonfle la chambre. On la trempe dans le bassin pour voir si çà fait des bulles. Petit temps de concentration. Silence. Rien.
Et les conversations qui reprennent de plus belle pendant que le gamin remonte le pneu. Le garagiste mène bien son affaire. Il est bien placé, à l'entrée du village, juste à côté de la mosquée.

Nous repassons le col, dans la forêt tropicale, et plongeons enfin sur Polewali. A nouveau : la côte. Longs travellings sur des enfilades de maisons plantées sous les arbres. Les maisons traditionnelles de Sulawesi sont toutes plus belles les unes que les autres. Harmonieuses dans leurs proportions, elles sont parfaitement adaptées à la situation : bâties sur pilotis en bois imputrescibles, elles réservent au sol un espace en terre battue où on s'installe à l'ombre sur un lit en bois et bambous pour la sieste aux heures chaudes. A l'origine simples ouvertures aux formes géométriques pratiquées dans le bardage grossier, les fenêtres minimalistes sont remplacées aujourd'hui progressivement par des vitrages.

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Lumière magnifique de 17 heures. On s'arrête pour faire quelques plans supplémentaires de maisons sur fond de forêt. La route n'en finit pas de se bosseler à l'approche des villes. Le goudron fait des siennes, et tous les véhicules en font les frais.
Arrivée à Parepare de nuit. Un premier hôtel est surbooké par un mariage à la sono fracassante. On s'effondre dans un autre, miteux, du centre ville, pas très loin du port. A la réception, un mini bouddha en céramique avec un ventre équipé de quatre minileds de couleur fait tourner devant lui une boule de verre qui roule dans l'eau. Un gage de bonheur. Il ne faut pas toucher la boule, car on prends le jus, prévient la patronne… Chambre sans fenêtre. Antony Hopkins et Leonardo Di Caprio sur HBO brouillée par une deuxième image d'une chaîne concurrente. Clim réglée à 15. Grosse araignée velue qui s'échappe du rouleau de papier toilette au moment opportun.
En face, le restaurant chinois vous sert un "Red Snapper" grillé, à côté d'un grand verre de jus de Durian, qui vous réconcilie - s'il en était besoin, ce qui n'est pas franchement le cas ! - définitivement avec la vie.

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Dimanche 18 Mai

Parepare > Makassar

La pirogue est lancée à pleine vitesse sur le lac Tempe.
Cela fait bientôt une demi heure que nous naviguons dans un chenal au milieu de la végétation. Sur les sommets qui entourent cette immense cuvette, de petits nuages commencent à se former, mais ce sont des petits thermiques qui disparaîtront ce soir. La météo me semble au beau fixe. Fines pirogues en bois, avec moteur rajouté et amovible. L'homme qui mène la pirogue est accompagné d'un gamin qui doit avoir 8 ans à peine. Il fait le fier à l'avant du bateau, avec sa pagaïe en bois.

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De temps en temps nous ralentissons pour éviter des trappes à poissons. Le long du chenal, quelques pêcheurs jettent leurs filets. La lumière est aveuglante. Les hommes - sous leurs chapeaux - se protègent de la réflexion du soleil sur l'eau du lac avec des passe montages en tissus.

Voici une longue zone en pleine eau, avec au loin les toits de drôles de maisons dont nous nous approchons lentement. Les "Bugis" vivent sur des maisons flottantes, posées sur d'immenses radeaux en bambous. Les Bugis bougent leurs maisons en fonction du niveau du lac. Il va se remplir à partir de début Juin, pour atteindre ses hautes eaux en Juillet, et ensuite redescendre jusqu'en Octobre. Les Bugis vont déplacer leurs maisons, pour suivre la nourriture. Il y a environ deux mètres de fond. Les maisons sont attachées à de grands pieux en bois fichés dans la vase. Les Bugis suivent les poissons, qui leur servent de nourriture de base, et dont ils font commerce. De petits poissons chats, et aussi d'autres, que je ne connais pas. Ces poissons vivent dans les nénuphars, qui s'étendent parfois à perte de vue. Il faut savoir les gérer. Les laisser proliférer étoufferait les eaux du lac. Les détruire ruinerait les communautés de pêcheurs. Les Bugis passent des journées entières sur les pirogues, à traquer les bancs de poissons, à régler des sortes de trépieds en bambous, plantés dans la vase : ils servent à fixer les nénuphars à la même place, dans de grands cercles. Les aigrettes blanches viennent se régaler des petits poissons. Toute la chaîne alimentaire est là.

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Nous accostons le long d'une de ces maisons flottantes. Une famille entière vit là, en train de préparer le poisson. L'homme est en train de découper en fines tranches de petits poissons juste pêchés. Il travaille avec un long couteau, sur un billot usé. A côté sa femme surveille l'affaire, en lui passant de temps en temps les poissons, qu'elle sort d'un seau à côté d'elle. Visiblement, c'est la femme qui tient la maisonnée de main ferme. Ils travaillent sur cette sorte de chemin en bambou qui fait le tour de la maison.
La maison… Une pièce centrale commune où on mange et où on dort. A côté un petit réduit qui sert à stocker les paillasses qu'on déroule sur le sol pour la nuit. Un seul meuble en bois, une sorte de coffre. Murs en fines lamelles de bambous cloués sur d'étroits montants en bois. A côté de la pièce commune, une petite cuisine avec un feu, et quelques gamelles. Trois couteaux. Toit est en tôle ondulée. La maison entière est posée sur de gros bambous, assemblés par brassées, sur plusieurs épaisseurs.

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Je suis invité à manger de cette mixture délicieuse : fines tranches de poisson marinées dans du citron vert, avec de la noix de coco rapée et grillée ! Nous partageons un café à même le sol, assis en tailleur sur les nattes. Les Bugis sont très accueillants. Pas riches, mais quand même contents de leur sort. Ils vivent dans le sud de Sulawesi, et aussi dans la région du lac Tempe. Ils ont ce savoir faire de la pêche en eau douce. Le jeune, là, avec son calot musulman, et son T-shirt branché, fait ses études supérieures dans la ville voisine. Mais avant les examens, il est venu se reposer dans sa famille, là, sur ces drôles de cabanes, au milieu du lac.

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Assis sur la minuscule terrasse qui procure une ombre providentielle, les jeunes envoient des textos sur leurs portables. Les hommes au repos fument leurs cigarettes dans l'encadrement des ouvertures qui tiennent lieu de porte, en regardant les eaux du lac. Là bas, un bébé crie. Les sons se propagent de belle manière à la surface de l'eau. Il y a d'étranges reflets, quand un nuage vient faire une fausse teinte sur le village flottant. Les maisons font une sorte de ballet en glissant doucement dans les courants, comme des bateaux au mouillage. Le temps fait une pause. Nous aussi.


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Nous sommes repartis…
Nous rentrons à Makasar par la "TransSulawesi Road", une route qui traverse les plateaux du centre de l'île principale. Forêts luxuriantes. Immenses rizières, où on pratique l'association japonaise "canard - riz - buffle" : le buffle patauge dans la rizière, en y posant ses excréments, le canard nettoie la rizière des petites bestioles qui pourraient manger le riz. On mange l'ensemble (canard, riz, buffle !).

La route est un poème, écrit à plusieurs. Véritable oeuvre collective temporaire. Vélos, triporteurs, motos, voitures et camions. Chacun veut sa part du gâteau. La route sert aussi à tout le monde. On y fait sécher les graines de cacao sur des clayettes en bambous, ou parfois à même la route. On vend l'essence au litre, dans de petites étagères le long de la chaussée. Un gamin pousse trois vaches. Un énorme camion surchargé déboule du virage et redresse miraculeusement sa trajectoire pour éviter le véhicule venant en face.

Vers 16 heures, la lumière est à tomber par terre. A 18 heures, le concert des insectes de la nuit commence. Mon instinct de spéléologue se trouve soudain en éveil : la route serpente dans un lapiaz géant envahi par les arbres et la mousse. Arbres aux immenses racines, qui serpentent sur le rocher sur plus de vingt mètres !

Nous quittons maintenant la montagne pour plonger dans la moiteur de la côte. Ballet de phares dans la nuit. Nous déboulons à tombeau ouvert dans Makassar, le lendemain d'une énorme manifestation d'étudiants, qui protestent contre le coût de la vie. Des affrontements assez violents. Les militaires tentent d'infiltrer le mouvement pour savoir qui est réellement derrière tout cela.

Ce soir il y a encore foule au restaurant de poissons. La Chine bat en finale la Corée du sud à la Thomas Cup. Un mariage traditionnel traverse au ralenti le hall de l'hôtel. Femmes en orange, hommes au calot noir. Bijoux qui scintillent. On est déjà très loin de chez les Bugis… Les bourrelets de graisse de ces nouveaux riches débordent des smokings quand ils s'engouffrent dans les grosses berlines aux allures de convoi présidentiel, en faisant semblant de passer un coup de fil crucial.

Au bar, une chanteuse lascive au regard aguicheur, accompagnée d'un pianiste échevelé tente d'occuper le terrain. Comme s'il fallait tuer le temps. Peine perdue. C'est le temps qui vous tue…
Demain, nous partons à 5 heures du matin pour Java. Pas besoin de "Wake up Call", il y a mon collègue le muezzin qui va se charger de l'affaire, là haut, depuis son minaret…


=:-)

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