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La rancon de Manco Capac

Ile de Taquilé - Lac Titicaca - Pérou - Octobre 1993.


Une équipe d'explorateurs part à la recherche du trésor du temple du soleil, sur l'île de Taquilé. Les indiens ont indiqué une grotte, avec des escaliers. Celui qui est remonté a raconté avant de mourir qu'il avait vu un temple et un immense trésor. D'après le recoupement avec les archives espagnoles de la conquête, à Séville, il s'agirait du trésor de Manco Capac, le premier inca.
Equipés d'appareils respiratoires à circuit fermés, nous sommes fins prêts pour une exploration.
Mais petit à petit, tout bascule. D'abord cet ethnologue cocaïnomane, qui était le contact avec les indiens, semble s'avérer être un escroc. Ensuite les dieux, invoqués lors d'une cérémonie de Pachamama, ne nous sont pas favorables. Allons nous trouver cette grotte ? Les indiens ont ils tout raconté ? Menacés par Ricardo, nous envisageons une fuite en bateau par la Bolivie…
Chronique d'un véritable polar, une arnaque totale, dans le décor incroyable du lac titicaca.



Extrait.

Alesandro a échangé quelques mots avec ses amis restés sur le quai, puis il a retiré les amarres. Les indiens étaient venus de preque toute l’île. Les retardataires courraient sur le sentier qui mène au port. Pour nous voir partir. Certains riaient de bon coeur, d’autres gardaient un regard étrange, mêlant soupçon et regret. Quand le bateau quitta le quai, les jeunes firent de grands mouvements de bras pour nous dire au revoir, signe que je perçu comme la manifestation d’une amitié sincère. Les anciens ne pipaient mot, silence lourd de sens, que pourtant je ne compris pas. Malgré toutes nos galères, nos craintes, les conflits, les tensions, j’éprouvais une sorte d’immense sentiment de regret : je commencais à me dire que j’avais presque déjà envie de revenir ici. Comme si la richesse de cette expérience ne pouvait véritablement m’apparaître qu’une fois terminée...

L’île s’éloignait doucement. Mais au fond de nous même, le doute persistait.
La grotte existait telle ?
Peut être partions nous trop tôt ? Peut être étions nous sur le point de trouver ?
Ces derniers jours, les indiens semblaient plus bavards. Ils sentaient sûrement qu’il leur fallait nous parler, que l’occasion était bonne pour révéler enfin des secrets anciens.

Cette grotte existe-t-elle, ou n’est-elle qu’un fantasme ?
Et puis des questions restent sans réponses:

En dehors de la mythomanie de Ricardo, quelles étaient ses réelles motivations ?
Et puis les indiens nous ont ils tout montré ?

Le bateau glissait sur le miroir parfait du lac. Ce lac qui nous avait accompagné pendant toute cette aventure. Ce lac d’où la civilisation était née... et qui restait comme vierge pour nous.
L’équipe s’était dispersée sur le pont, chacun dans son coin, comme pour mieux méditer cette aventure. A l’avant, ceux qui voulaient oublier et fuir le plus vite possible.
Je restais à l’arrière, pour méditer cette aventure....
Nous nous éloigions, et maintenant mon regard embrassait toute l’île. Je pouvais aperçevoir le “désert”, le premier endroit où nous avait emmené Mariano, et puis les escaliers qui ménent au petit col d’où on atteint le village, et enfin le sommet, désertique et battu par les vents. Je ne pouvais m’empêcher de fouiller des yeux la sucession de ces terrasses cultivées.

Il nous restait trois heures de traversée pour rejoindre le monde...
Il allait nous falloir beaucoup plus longtemps pour se mettre à l’abri des mauvais esprits...

Instinctivement, je mis la main dans la poche : j’en retirai quelques feuilles de coca, que nous avait donné le vieux sorcier lors de la cérémonie d’offrande.
Tout semblait désormais dérisoire.
Il ne suffit pas de savoir lire l’avenir...

Devant moi, le moteur ronronnait doucement.
Les eaux étaient transparentes comme du cristal. Il me semblait même par instants aperçevoir le fond du lac..
A l’avant, une indienne me regardait fixement, silencieuse, comme pour me questionner.
Il me vint tout à coup à l’esprit cette évidence: nous n’étions que des “gringos”, des gens sans importance, étrangers à perpétuité. Nous avions bouleversé l’île en vain, bousculé les habitudes de cette communauté, pour seulement repartir bredouilles et déçus. Nous avions seulement oublié que le temps compte pour beaucoup dans les histoires magiques et extraordinaires.
Les mystères ne se livrent pas aux gens pressés...

Le soleil baissait maintenant sur les eaux dorées. Nous glissions entre les roseaux.
Une grande bouffée d’air me glaça les poumons. La lumière du soir était comme un cadeau.
Et puis les étoiles percèrent une à une. Le bateau s’enfonçait dans la nuit, et moi j’étais là, tout à coup heureux comme un enfant.

Cette histoire m’avait appris que les gens trop sûrs d’eux sont finalement vulnérables. Qu’il fallait avancer doucement pour aller loin, mais n’arriver jamais. Où allions nous ? Aujourd’hui moins qu’hier, je ne savais...
Mais l’incertitude me faisait maintenant sourire: j’avais oublié que c’était la rançon de notre liberté.

Ile de Taquilé - Pérou - Octobre 1993.

=:-)


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