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Glandasse, montagne magique
“Dans
les déserts de pierre des montagnes, il existe un curieux
négoce: on peut troquer l’incertitude de la vie contre la
béatitude de l’instant”.
Milarepa
Il y avait cette vallée, qui s’enfoncait dans la "pampa".
Et puis, au détour d’un virage, cette montagne qui barre
soudain l’horizon: le Glandasse.
Du Pas de Chabrinel au Roc d’Ambane, en passant par Plautret, le
Rocher Carré, le Rocher de Toutes Heures, Peyrolles, le Pestel,
la Palle et le Dôme, d’immenses falaises, des piliers, des
vires folles qui invitent au voyage, des pas vertigineux, et le
soupçon d’une pelouse d’altitude.
Personne n’échappe à cette image extrêmement
forte, celle de la montagne qui domine Die, vue du bout de la plaine.
Une image qui s’impose à celui qui entre en pays Diois,
qui lui donne la mesure, et résume la puissance symbolique de
ces rochers que d’aucuns auront déjà
qualifié de “montagne magique”.
Où sommes nous ?
A l'exacte limite des Alpes du Nord et des Alpes du Sud. Ici plus que
partout ailleurs, le contraste de deux mondes saute aux yeux. Là
haut les pins à crochets, la pelouse rase, les lapiaz
acérés, la tourmente, le brouillard, les orages
ravageurs. Ici les chênes, la lavande, les marnes, les baignades
dans les vasques d'eau claires, la douceur d'un possible vent du Sud.
Là haut, un monde de silence, une terre ingrate mais magnifique,
où personne n’habite: il n’y a pas d’eau.
Pourtant, ces hautes terres ont jadis résonné des
échos du labeur quotidien de nos ancêtres. Il y a
très longtemps, les hommes de la préhistoire ont
là haut chassé bisons et marmottes. Plus tard, dans le
vallon de la Clery, les romains ont taillé les barres rocheuses
pour en faire des colonnes, dont certaines gisent encore sur la
pelouse. Ils ont arraché le rocher à la montagne,
descendus ces blocs de pierre, les ont transporté sur des
kilomètres, pour construire Die, et d'autres cités, plus
loin.
Pendant des siècles, le Glandasse fut traversé par des
troupeaux, qui partaient aux foires. Longues caravanes de
bétails, protégées des loups par ces colliers
à pointes acérées, et la gouaille de ses guides.
Colporteurs, abbés ou gens de peu, mais aussi malfrats et
contrebandiers, nombreux sont ceux qui affrontèrent la
tempête et le brouillard, à une époque où
les hauts plateaux restaient le plus court chemin de Die à
Grenoble.
Pour d’autres, cette montagne fut une barrière, mais ils
l’ont franchi. Les protestants du Diois, en fuite vers le
Trièves, ont gravi ses sentiers, traversé la plaine de la
Cléry, pour assurer leur salut, et sauver leur âme...
Ensuite ces hauts plateaux furent exploités pour leurs
richesses. Des siècles passés nous viennent les clameurs
des charbonniers, des forestiers, de tous ceux qui ont trimé dur
sur ces hautes terres. Il y a trois siècles, on y fabriquait la
poix, on descendait du charbon de bois par de grands câbles, vers
la vallée. On y gardait d'immenses troupeaux, les bergeries
étaient grandes et prospères.
Plus tard, le Glandasse fut un refuge, un abri contre tous les envahisseurs.
Pendant la deuxième guerre mondiale, les diois ont trouvé
cachette dans ses grottes, dans ses cabanes secrètes ou
méconnues, pour fuir l’occupant, ou se préparer
à le contre attaquer.
Aujourd'hui il reste de l’histoire seulement quelques
traces visibles à ceux qui savent ralentir. Ces hautes terres
sont un monde de silence, une parcelle préservée dans un
monde souillé, un territoire unique et magnifique, mais pourtant
fragile. Le Glandasse est cet endroit magique, terre de recueillement
et de poésie, une zone désertique aux lumières
divines, et aux orages diaboliques.
Seuls les bergers continuent quatre mois par an à vivre sur ces
hauts plateaux. A la fin du printemps, les transhumants envahissent nos
rues. Hommes et bêtes dorment une nuit au pied de la montagne,
puis montent vers ces alpages d'altitude, considérés par
les provençaux comme un des plus beaux des Alpes. Les troupeaux
carillonnent alors sur les pelouses, sonnailles portées par le
vent, parfois si loin qu’on s’imagine les entendre jusque
dans la vallée...
Le Glandasse est ainsi une montagne que l'on respecte. D’abord,
elle est source de vie: le glandasse est notre château
d’eau. Et puis de l’Est vient la lumière: le soleil
passe au dessus du sommet et vient inonder la vallée...
Ensuite Glandasse est un baromètre, elle donne
l’échelle des climats et des saisons (hauteur de neige,
premières feuilles, arrivée des orages, arrivée de
l’automne...)
Ainsi on retrouve partout l’image de cette montagne magique dans
notre quotidien. C‘est devenu un point de repère. Le
journal local a repris sa silhouette, la Clairette de Die affiche ses
falaises, son nom est prêté à des campings, des
associations, etc...
Le Glandasse est gage de qualité, une preuve de confiance et de solidité.
Aujourd’hui, la montagne est devenue le terrain de jeu des randonneurs, grimpeurs, et skieurs.
De nombreux sentiers, dont le célébre Balcon Est,
permettent de rejoindre pas et vires, d’aller dormir dans des
cabanes perdues, ou des bivouacs secrets. Tant de lieux, tant de
passages à redécouvrir...
En hiver, immenses étendues sauvages immaculées, le
Glandasse devient pour les skieurs un terrain de jeu magnifique, mais
qui peut être dangereux: le brouillard est persistant,
l’orientation y est plus que délicate, et les conditions
climatiques sont parfois épouvantables.
Un des traits caractéristiques du Glandasse, ce sont ses
falaises, qui atteignent parfois plus de 300 mètres de
verticale. L’escalade y a ouvert des voies magnifiques, de ces
grandes classiques peu souvent répétées, qui
n’attirent pas toujours le grimpeur moderne (il y a trop de
marche d’approche...) mais qui pourtant ont cette ambiance
caractéristique des grandes voies calcaires.
Mais au dessus de tout, il faut voir passer les saisons et les
années. L’hiver et ses lumières extraordinaires,
quand le Dôme étincelle de neige fraîche, quand les
falaises sont poudrées par la tempête. Au printemps,
l’explosion des fleurs sur les pelouses, le festival des odeurs.
L’été qui écrase de chaleur la
vallée, et même les sommets. Mais déjà on
guette les nuages d’orages qui se forment sur le Dôme. Et
puis un matin, vers le milieu du mois d'Août, tout bascule. Il se
met à faire frais, presque froid. Une légére
teinte orange modifie le spectre de la lumière. C'est la fin de
l'été. Les ombres s’allongent déjà.
Nous descendons avec les troupeaux, dans le fracas des sonnailles.
Enfin, ces journées d’automne, pour certains les plus
belles, qui nous font regretter de n’avoir pas été
là haut plus souvent...
Nous autres, quidams ballotés dans l’incertitude de nos
vies décousues, nous vivons en bas. Mais cette montagne est bien
là en permanence, dans nos esprits.
Au delà du vacarme futile des vallées, ces falaises
majestueuses nous invitent tous les jours au respect. Cette montagne
est plus qu’un symbole: à l'instar des sommets
himalayiens, demeures des dieux, le Glandasse est ici la montagne de
nos esprits. Ses sentiers sont les chemins de nos désirs.
“Il y a donc cette montagne, et il faut la gravir.”
C’est comme un évidence: cette montagne nous convie
à une élevation autant physique que spirituelle. Elle
donne tout à coup l’échelle de notre condition
misérable. En bas les hommes, et leur fatras de certitudes et de
cupidités. En haut l’herbe rase des déserts
inutiles et des pierriers hostiles, les coups de vent et les brulures
du soleil d’Août.
Il faut grimper ! Encore une fois nous avons pris la route des sommets.
Le souffle court, nous débouchons sur les plateaux: quelques
oiseaux plongent dans les falaises en jouant avec les thermiques. Un
légère brume traîne dans les pins à crochets.
Peu de choses, en fait.
Pourtant le sommet n’est pas loin. Là encore, quelques
pierres, battues par les vents. Et le regard, qui embrasse l'horizon,
du Mont blanc au Mont Ventoux. Le sommet est ce moment un peu
bête où on ne sait pas trop quoi faire. Et cela
apparaît tout à coup bien normal: grimper là haut
ne sert à rien. Ce qui est important, c’est ce qui se
passe avant et ce qui se passe après.
Un axiome zen dit: "Quand tu arriveras au sommet de la montagne,
continues à monter". C’est bien de cela dont il
s’agit. La montagne peut devenir ce lieu enfin possible d'une
catharsis nécessaire. Une purification, pour renaître
à la vie, et aux autres. Et donc cette montagne n’a de
cesse de nous rappeler l'existence d'un ailleurs, pire ou meilleur...
Quotidiennement, elle nous convie à l'idéal de nos vies:
agir, et renoncer au fruit de nos actes. Le Glandasse est notre
purgatoire.
Que sera demain?
Bien sûr ce que nous construirons. Mais il faut rester vigilant.
Ici comme ailleurs, le danger de modernité persiste. De tous
côtés, les aménageurs grignotent ce fantastique
patrimoine naturel pour des intérêts à court terme.
Tout se passe comme s’il fallait faire des erreurs pour
s’en aperçevoir. Dans une sorte d’incapacité
à tirer les leçons des tentatives d’autrui,
ailleurs, ou en d’autres temps, dans cette incapacité
à imaginer l’avenir, les désirs des autres,
l’Humanité ne fait que reproduire indéfiniment les
mêmes erreurs. Les politiques continuent à prêcher
l’aménagement et la croissance, au moment où les
vraies questions se posent en termes de solidarité, de
conscience planètaire et de valorisation du patrimoine.
Pourtant il nous faut à tout prix préserver ces
territoires uniques. Alors seulement, nous pourrons, paisibles et
sereins, tel le bienheureux, revenir à l’ombre de notre
arbre sacré. Redescendus dans la vallée, petits bonhommes
inutiles dans un monde dérisoire, nous nous retournerons
à l'instant même où les rochers prennent feu dans
la lumière de l'automne, pour vérifier, comme si nous ne
le savions pas encore, l'immortalité de ces falaises, et essayer
d’assumer, une fois de plus, notre propre impermanence.
=:-)