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Habiter la Terre… Etats Unis
Los Angeles
Michael bâtit la M-House, la maison du futur, véritable oeuvre d'art recyclable.
Mark nous offre la Casae Study House #22 sur un plateau. Vue imprenable sur Los Angeles.
Samedi 12 Juillet
Arcosanti > Phoenix.
Le long ruban d'asphalte vers le sud, au milieu des grandes collines et des cactus.
La chaleur qui monte petit à petit dans la voiture. Je rattrape mon journal de bord.
Phoenix > Los Angeles
J'ai changé mes plans. Nous devions faire escale à San
Francisco, mais la séquence ne semble pas bien fonctionner. Je
zappe. A l'aéroport, une vendeuse voilée d'un magasin de
souvenirs d'indiens est en train de servir une japonaise.
Los Angeles.
L'ordinateur de la société de location de voiture est en
panne. Tout repasse en manuel… Les employés mettent un
point d'honneur à régler les problèmes. On se
croirait dans une série télé.
Nous arrivons à point d'heure à Hermosa Beach, au nord de
Newport. Finis les cow boy de l'Arizona ! C'est samedi soir. Des
ribambelles de midinettes siliconées font la queue dans les bars
du bord de mer. Bienvenue au royaume de la frime, de l'ultra look.
Beach Bike tous plus beaux les uns que les autres, gros 4X4
surdimensionnés qui font un bruit de bateau. Surfeurs, quinquas
en nombril, latinos en bandana et pantacourt au milieu des fesses.
La Californie s'occupe de soi. Le culte du corps. A l'excès.
Dimanche 13 Juillet
Au nord, vers San Francisco, des centaines d'hectares sont en feu. Le
plus grand incendie de l'histoire de la Californie. Fruit de trois ans
de sévère sécheresse.
Environ une heure de route, sur l'interstate 5 qui monte au nord, avec
parfois 2 X 6 files de voiture. On a de la chance, c'est dimanche,
çà roule bien. Nous logeons au sud de
l'aéroport international, et il faut donc traverser la
moitié de Los Angeles pour atteindre la colline d'Hollywood.
Nous voulons prendre de la hauteur, pour faire des plans de cette ville
tentaculaire, et j'ai aussi une petite idée en tête :
aller jeter un oeil à la "Case Study House #22".
Les "Case Study House", c'est le nom donné à un programme
architectural de l'amérique d'après guerre. "Des
prototypes pour tout le monde " était un des credo de cette
démarche. Plusieurs architectes ont donc dessiné et fait
construire plus d'une trentaine de maisons exceptionnelles pour
l'époque, et qui restent aujourd'hui des oeuvres de
référence. Le numéro 22 de cette série de
maisons hors du commun est sur les hauteurs d'Hollywood. Classée
parmi les 150 maisons les plus remarquables des Etats Unis…
Une route en lacets, qui se termine en impasse. Nous continuons
à pied, après avoir franchi le portail d'une voie
privée. Essai infructueux à l'extrémité de
la route, où on m'explique par interphone que la maison que je
cherche est plus bas. Nous avons dû passer devant…
L'homme en short, torse nu, est en train de laver sa voiture.
"- Bonjour ! Je cherche la maison de Mr Stahl…
- Oui, c'est moi. Je suis son fils. Arrêtez cette caméra tout de suite. On a pas le droit de filmer ici !"
Nous baissons la garde. Je me présente plus avant. Il en fait de même.
"- Je suis le fils de Mr Stahl. Je
suis en charge de gérer les travaux. La maison est en travaux,
et de toute façon on ne peut pas la visiter."
J'explique mon cas en douceur. Rendez vous compte, on vient de France
pour voir votre maison ! Le mec a une bonne bouille, je sens que
çà va marcher.
"- Faites moi un mail, je vais en parler avec ma soeur, qui gère l'affaire, et je vais voir ce que je peux faire."
Nous montons au Griffin Obervatory, pour faire des vues de Los Angeles depuis la colline. Classique mais magnifique.
Retour nocturne à Hermosa Beach. C'est dingue cette ville, on
passe son temps dans la voiture. Je le savais, mais là j'avais
un peu oublié.
Lundi 14 Juillet
8 heures. C'est toujours impresionnant d'être dans ces flots
ininterrompus de voiture qui coulent sur ces autoroutes californiennes.
Nous montons au nord de Los Angeles. Une large vallée, avec
d'immenses enfilades de poteaux électriques géants.
Lotissements en étages sur les collines. La Californie est
sèche, très sèche. L'herbe est jaunie par trois
ans de sécheresse successive.
Michael m'a donné rendez vous au Mac Donald de Gorman, à
45 miles au nord de Valencia. Il a fallu deux heures et demie de route
pour rejoindre le lieu du rendez vous.
"- Bonjour, tu sais que ce n'est pas
une bonne idée de donner rendez vous à un français
dans un Mac Donald !?
- Ha ha ! Oui c'est vrai !"
J'ai suivi Michael sur une petite route, puis maintenant sur une piste
qui monte raide le long des pentes jaunies par le soleil estival.
Michael Jantzen travaille au carrefour entre l'art et l'architecture.
Il a construit la "M-House", une habitation révolutionnaire et
mystérieuse au premier abord. Nous approchons de la M-House. La
voici, qui se détache sur le ciel. Intégralement peinte
en vert. Une maison ? Une oeuvre d'art plutôt. Futuriste, mais
pourtant bien présente, là, sous mes yeux. Une maison
modulable, construite à partir de modules en acier, et de
panneaux en béton. La maison est une structure constituée
de modules en acier de 8 pieds, cubes fermés par des panneaux en
béton composite (très solide et recyclable).
"- Tu vois, les modules sont
boulonnés entre eux, il suffit de dévisser et on change
les formes. Pareil pour les panneaux. Je pars d'un cube, et je
l'éclate, je l'étend dans toutes les directions."
La maison entière est bâtie sur quelques pilotis, et des
poutres métalliques. Posée sur un sol en gravier. Facile
à démanager.
"-C'est finalement dans la tradition des mobile home américains ?
- Oui, on peut dire çà,
mais là je travaille vraiment sur l'esthétique. Je crois
qu'il est important de faire réfléchir le public."
Les modules sont combinés de manière aléatoire.
"- Je fabrique des maquettes d'abord,
c'est ma manière de travailer. Puis je construis l'objet. C'est
conçu comme une résidence pour deux personnes, peut
être une résidence de vacances. Je m'en sers de studio,
j'aime bien travailler ici."
Nous sommes sur une des petites terrasses qui entourent la maison,
protégés du soleil aveuglant par ces panneaux à
clair voie qui laissent passer la brise fraîche. Nous sommes
à 1000 mètres d'altitude.
"- La maison est faite pour les
climats tempérés. Avant il y avait beaucoup plus d'arbres
là devant. Mais il y a eu le feu il y a deux ans, partout
là autour. Vu qu'il y a cet espace dégagé, les
flammes sont passées un peu partout mais la maison n'a pas
souffert."
Nous entrons dans la maison. Tout l'intérieur est vert lui
aussi, dans un camaïeu de vert. Meubles, murs, sols et plafonds.
"- Je ne l'ai pas tout à fait
terminée, je veux dire qu'il faudrait rajouter encore un peu des
lampes ici ou là, aménager quelques détails, mais
le gros est là, et elle est habitable.
- Il y a une étonnante lumière à l'intérieur !?
- Oui c'est grâce aux multiples
ouvertures qui n'ont pas des formes classiques. La lumière
change beaucoup en fonction de l'heure de la journée, et aussi
en fonction des saisons. C'est une maison qui fait travailler les
méninges, qui suscite la créativité. C'est ce que
je voulais."
En un coup d'oeil, on appréhende la démarche de l'artiste
- constructeur : proposer, donner à voir, ouvrir des pistes.
L'homme fait cela depuis plus de 30 ans maintenant. Il est
"avant-gardiste", et a de nombreux projets dans ses cartons.
Je suis tombé sur lui en voyant son projet de passerelle
éolienne : les piétons passent à
l'intérieur d'un tube autour duquel tournent des
éoliennes en forme de roue à aube !
A l'intérieur de la M-House, Michael stocke certaines de ses maquettes.
"- Regarde, là c'est une
chaise longue solaire. Il y a des panneaux qui font ombre, et qui
alimentent un ordinateur par exemple. Là tu as un autre
prototype de pavillon totalement modulable."
Posée sur le bureau, il y a cette maison circulaire, avec des
panneaux rotatifs. Tout est ajustable, positionnable selon la
volonté, y compris la position des meubles, tournant autour d'un
axe central. Sur le lit de la chambre, la structure d'un ensemble de
buildings eux aussi très futuristes.
"- J'ai imaginé
çà à partir de mes pavillons, c'est quelque chose
qu'on peut multiplier. Les espaces se relient entre eux,
s'interconnectent. C'est un projet d'éco-spa pour le Mexique."
La maison est truffée de recoins qui permettent de ranger les
affaires personnelles sans qu'elles encombrent l'espace. L'artiste a
réfléchi ses espaces un peu comme dans un bateau. Pas
immense, mais bien conçu. Michael est un artiste, qui travaille
au croisement de l'art et de l'architecture. Ouvrir les esprits.
Chercher de nouvelles pistes. Tout le temps.
"- Vous pensez que les américains sont prêts pour ce genre d'architecture ?
- Non ! Pas du tout. Mais je crois
qu'il faut éduquer les esprits. Proposer des solutions viables,
et petit à petit les idées font leur chemin. Regardez, de
toute façon cela fait 30 ans que je travaille sur des solutions
recyclables et maintenant on va être obligé de tous passer
par là. Je crois qu'il est important de travailler
l'esthétique. Si les gens aiment, voient que les maisons sont
agréables à vivre, pour tout un tas de raisons, ils vont
en faire construire des semblables.
- Combien de temps avez vous mis pour construire la maison ?
- Euh… à peu près deux ans.
- Combien de personnes ?
- J'étais tout seul.
- Tout seul !?
- Oui."
Depuis 6 ans Michael cherche à vendre la M-House.
"- J'ai énormément de
publications. Dans le monde entier. Tout le monde trouve cela
intéressant, mais personne n'achète. Je crois que les
mentalitéés ne sont pas prêtes pour cela. Et
pourtant on viendra vers des solutions commes celles ci dans le futur.
C'est sûr. J'espère très bientôt."
Pour l'instant, Michael Jantzen bricole sous les épineux,
protégé du soleil par un chapeau de paille. Cet
été, il expose une maquette de la M-House au "Moma",
à New York, dans une exposition consacrée justement
à l'histoire de l'habitat expérimental !! (je crois que
vais aller y faire un tour…).
Brad Pitt est venu visiter la M-House. Il a fait des photos et un petit
film. Il a flasché sur la maison, voulait l'acheter pour
l'installer sur sa propriété de Santa Barbara. Mais
là bas, le permis de construire est tellement restrictif qu'il a
eu peur que cela ne passe pas. Michael me laisse entendre surtout que
s'il avait installé la M House sur son terrain, les
autorités en auraient profité pour jeter un coup d'oiel
à d'autres constructions pas très catholiques d'un point
de vue des permis. Il y a une semaine, Michael a signé le
contrat de vente de la M-House à une agence immobilière,
pour un client chinois.
"- Tu vas la retrouver peinte en rouge !"
Nous laissons Michael à son travail dans les épineux. Il
est en train d'assembler une nouvelle sculpture à partir de
tasseaux de bois.
"- C'est la prochaine maison !?
- Ha ha ! Pourquoi pas ? Non je ne
sais pas encore ce que c'est. J'ai découvert cette forme, cet
assemblage. Regarde comme c'est solide. Cà produit de l'ombre,
c'est vrai. Il faut toujours chercher de nouvelles choses. Faire du
fonctionnel, mais qui soit beau aussi, dans lequel on trouve du
plaisir."
Bravo Michael !
Merci encore.
Nous sommes repartis au sud.
Deux heures dans le flot continu des voitures et des camions, sur 4 ou
5 voies parallèles à l'approche de la ville des
anges… Hier soir j'ai fait un mail à Mark Stahl, en
expliquant ma requête. Il s'est adouci, et m'a donné
rendez vous à sa maison sur les hauteurs d'Hollywood.
Mark nous reçoit aujourd'hui dans ce qui paraît être la maison la plus photographiée au monde…
Il faut imaginer le spot absolu. Dès qu'on franchit la porte
d'entrée de la "Case Study House #22", on est saisi par le
paysage. La situation est exceptionnelle. Nous dominons toute la ville.
Juste au dessous il y a Sunset Boulevard. Ce qui est impressionnant
c'est la vue à 180 degrés. Mark s'approche du bout de la
terrasse.
"- Ici, on est au dessus de la ville,
et c'est comme si on n'était plus dedans. Nous sommes dans un
endroit à part.
- La ville est immense…
- Oui, si tu files au sud est, c'est une suite de villes non stop.
- 80 kilomètres ?
- Oui, au moins, je dirais même
plus. Il n'y a plus d'espace, alors on commence à construire
à la verticale. Tu vois, là bas, les grues ? C'est le
secteur d'Hollywod, ils construisent des buildings maintenant."
C'est vrai, la ville
devient un spectacle. La maison domine Los Angeles, donc, et surtout
elle est d'une simplicité et d'une transparence
étonnante. Une simple forme en L. L'aile bâtie contre la
pente fait face au sud, elle contient deux chambres. L'aile qui
s'avance quasi en surplomb est vitrée sur trois
côtés. Elle contient la cuisine et le salon. Dans le coin,
il y a la salle de bain. Dans l'espace extérieur entre les deux
côtés du L, il y a la piscine…
"- Nous sommes en travaux. La maison
devrait être finie dans trois semaines environ. De toute
façon j'ai un contrat pour le mois d'Août, alors il faut
que cela soit fini."
Mark ouvre plusieurs baies vitrées coulissantes, qui donnent
directement sur ce panorama exceptionnel. Immédiatement l'air
s'engouffre à l'intérieur, et circule de part et d'autre
de l'habitation.
"- Il y a toujours cette petite
brise, ici, sur les hauteurs de Los Angeles. Alors il n'y a pas besoin
de climatisation. Il n'y a pas de clim ici !"
La maison est louée pour des
tournages de films et de publicités, ou pour des photos de mode.
A partir de 4000 dollars la journée, parfois beaucoup plus,
selon le client.
"- Merci Mark, de nous avoir autorisé à venir aujourd'hui.
- C'est normal, c'est pour un
documentaire, c'est différent. Vous êtes les premiers
à voir cette maison en travaux !
- Ca me va !"
Nous longeons la piscine.
"- Il n'y a pas beaucoup
d'intimité dans cette maison, tout est tellement transparent.
Les voisins, sur la colline d'en face, surveillent parfois ce que nous
faisons. Certains ont un téléscope…
- Vraiment ?
- Oui, oui, ils savent plus que nous ce qui se passe dans cette maison !"
Rigolades. Puis Mark reprend, beaucoup plus sérieux.
"- J'ai passé beaucoup de
temps ici quand j'étais enfant. Je ne me rendais pas compte du
bonheur que nous avions de vivre dans une maison pareille."
Aujourd'hui Mark est au chômage. Cadre bancaire, il a souffert
des conséquences de la crise financière des "subprimes".
1000 licenciements, ces dernières semaines, dans la société pour laquelle il travaillait.
"- Mais je vais me remettre, c'est sûr, les choses vont se stabiliser à nouveau".
La "Case Study House #22" est posée sur des poutres en
béton qui servent de fondation. Toiture plate en acier. Piliers
en acier. Chauffage par le sol avec un système de
chaudière à gaz. Une cheminée décorative.
"- A l'origine la cheminée n'était pas comme cela.
- Ah, je me disais aussi qu'elle
n'était pas au niveau du reste ! Vraiment ! Si cela ne tenait
qu'à moi, je referais la cheminée. Pour quelque chose de
beaucoup plus simple.
- Oui c'était comme çà avant."
Mark sort un des nombreux livres de photos de la "Case Study House
#22", et l'ouvre à la page du salon. On voit une cheminée
beaucoup plus sobre.
Nous voici maintenant dans la cuisine, orientée face à la
ville, bien sûr. Pendant qu'on prépare les plats, on
bénéficie d'une vue à 180 °. Epatant.
"- Oh çà me plairait çà, on doit passer des heures là, devant ce paysage ?
- Oui, vraiment, et nous avons fait aussi de très belles fêtes dans cette maison…!"
On peut imaginer…
La lumière descend sur la ville.
Merci Mark de nous avoir fait entrevoir l'espace d'un instant cet endroit magique !
Encore à moitié abasourdis par la visite de cette maison
d'exception, nous traversons à nouveau Los Angeles, vers le sud
cette fois ci, pour rejoindre nos pénates, ce petit hôtel
tenu par un indien, en bord de mer, à Hermosa Beach.
Une immense jetée s'avance dans le Pacifique. Il y a encore pas
mal de pêcheurs qui rentrent avec leurs appâts. Les
surfeurs sont passés à la bière depuis un bon
moment déjà, ou cruisent au ralenti en "Beach Bike" sur
la longue piste parfaitement lisse qui longe la plage. Qui sait ?
Dès fois qu'une admiratrice les aies vus sur le rouleau cette
après midi ? Les restaurants sont pleins et bruyants. Quelques
beautés artificielles traversent l'air de rien - mais
çà ne marche pas - la grande rue piétonne
bordée de palmiers. Un couple grisonnant en chemises à
fleurs, sortis tout droit d'un film époque "Flower Power" a
transformé une coccinelle VW en y ajoutant la carcasse d'une
caravane. Ils démarrent et s'éloignent en rigolant. Le
voisin sous le balcon de l'hôtel s'est mis en tête de faire
pousser des tomates dans des grands pots de peinture vide, qu'il a
disposé au pied d'une cage de basket hors d'usage, à
côté de sa voiture de collection. Il est en train
d'arroser. Il vaut toujours mieux éviter les grosses chaleurs
pour arroser…
=:-)
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