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Habiter la Terre… Etats Unis
Earthbags 01
Iliona
raconte son amour pour Nader, qui construit avec la terre et la
lumière, et voulait décrocher la lune…
Jeudi 17 Juillet
"Earth turns to gold in the hands of the wise"
Rumi
Je dois maintenant - et pour finir ce voyage - vous parler de
poésie. Ecoutez bien cette histoire, elle vaut son pesant
d'or…
L'homme qui a mis au point les "earthbags", dont Bob a fait sa maison
que nous avons vue hier, est un architecte de formation. Son travail,
sa démarche, est inspirée par l'oeuvre poétique de
Rumi, mystique perse du 13ème siècle, fondateur de
l'ordre des derviches tourneurs, qui a profondément
influencé le soufisme. Cet architecte s'appelait Nader Khalili,
un iranien vivant aux Etats Unis. Il a mis au point la technique du
"Super Adobe". De simples sacs de plastique remplis de sable et de
terre, et solidarisés par un fil de fer barbelé. Les deux
matériaux qu'on trouve partout, y compris dans les zones de
guerre. Des maisons très solides, qui résistent aux
tremblements de terre, qui coûtent très peu cher à
construire. Des maisons à 500 dollars…
Iliona est la veuve de Nader. Son compagnon est
décédé au mois de Mars de cette année,
à 72 ans. Iliona et moi avons beaucoup parlé ensemble au
téléphone. C'est elle qui m'a fait connaître Bob.
D'une voix douce et posée, elle m'a conviée aujourd'hui
au "Calearth Institute", lieu d'expérimentation de nouvelles
techniques de construction. A l'origine posé au milieu du
désert, les habitations du "Calearth Institute" sont
rattrapées aujourd'hui par l'urbanisation galopante du secteur.
Etonnant contraste, entre des dômes de boudins de terre, et les
maisons de lotissement américaines…
Iliona me reçoit sous les arbres. Habillée tout en blanc,
longs cheveux attachés à l'arrière. Emotion de la
rencontre. Je sens Iliona touchée par le fait que nous soyons
là. Elle veut tout de suite parler. C'est la première
fois depuis la mort de son compagnon qu'elle reprend le flambeau de
cette cause.
Nous rentrons dans un petit bureau, et elle se saisit très vite d'un oeuf en bois sculpté.
"L'oeuf est une structure très
solide. Quand vous prenez un oeuf entre les mains, comme ceci, vous ne
pouvez pas l'écraser. C'est une forme très pure,
très simple, et très solide."
A chaque fin de phrase, son visage s'éclaire. Iliona est
d'origine Grecquo anglaise. Etudiante, elle est venue étudier
l'adobe Mais Nader lui a parlé de poésie… Elle a
assisté ici aux expérimentations de cet architecte hors
du commun.
Nader est un ancien "architecte classique", installé depuis 1971
aux Etats Unis. Jusqu'aux années 70, il construit des gratte
ciels, en Iran, puis aux Etats Unis. Il est alors spécialiste
des immeubles de bureau. Un jour, il décide d'arrêter, et
cette nécessité lui apparaît comme une
révélation, en voyant jouer son jeune fils dans un parc.
"- Tout vient de la terre. La nature est harmonieuse."
L'objectif de Nader Khalili devient alors de chercher un moyen de
construire des maisons totalement en harmonie avec la nature, et qui
peuvent être bâties par tout le monde, n'importe où
sur terre.
Nous voici devant une série de petites maisons construites selon
les principes de base : de simples boudins de sacs de terre. Il s'agit
d'habitations d'urgence, faites pour des situations
particulières (catastrophes naturelles, conflits, etc…)
"- A cinq personnes on fait ces
modules en deux ou trois jours seulement. Nous avons fait cela pendant
des ateliers, où des étudiants viennent du monde entier
pour travailler."
Iliona s'approche du mur, nous touchons l'Adobe.
"- Les mains sont les seules
extensions de l'esprit. On peut écouter, voir, sentir, mais
c'est en touchant la matière qu'on concrétise nos
idées. Je me souviens, Nader disait toujours ceci : ne parlez
pas, travaillez ! Un jour nous avons eu des étudiants du Moyen
orient. Des israëliens et des palestiniens travaillaient ensemble.
Ca discutait ferme ! Nader répétait sa phrase pour que le
chantier avance. A la fin, ils sont venus le voir et ont admis qu'ils
n'avaient pas beaucoup de différences, et qu'ils pouvaient
être amis."
Iliona parle de sa voix douce, de manière très
posée, en laissant parfois des silences de réflexion. Des
silences pour que celui qui est en face ait le temps de respirer,
aussi. Je la laisse dérouler le fil de ses pensées.
Nous approchons du "Rumi Dôme", comme l'appellent les gens de
Calearth. Un dôme en briques, avec un effet de mosaïques,
car les briques sont posées de plusieurs manières
différentes, à la manière des techniques de
construction d'Asie Centrale. Au sommet du "Rumi Dôme", il y a un
immense trou, qui laisse voir le ciel.
"- Cette structure est très
simple. Nous avons commencé à creuser pour faire un
espace central. Puis un jour une entreprise de matériaux se
débarrassait de ses briques. Nader a sauté sur
l'occasion. Il a récupéré toutes ces briques. On a
planté une tige métallique au centre, et en faisant
tourner une ficelle autour de cet axe, on montait les briques petit
à petit. Très peu d'outil…
Ce qui est bien avec les
constructions en terre, c'est aussi qu'on n'utilise pas de bois du
tout. Il n'y a pas de charpente. C'est vraiment fait avec du
matériau qu'on trouve sur place, et ce matériau c'est
juste la terre, qu'on trouve partout !"
Le dôme fait une petite dizaine de mètres de
diamètre. Il est bâti uniquement en assemblant ces
briques, avec d'ailleurs très peu de mortier. Le dôme a
reçu pourtant le "tampon" des autorités. Il a
été validé comme anti-sismique. Calearth y
organise aujourd'hui des concerts de Dafs, ces tambours mystiques
d'Iran. Les voisins doivent halluciner… C'est vrai qu'il y a une
acoustique exceptionnelle là dedans, on peut se parler en
chuchotant d'un côté à l'autre.
"- Ce qui est agréable aussi,
c'est toute cette lumière. Le soleil tape fort, ici, dans le
désert. Ce dôme procure une ombre fraîche, et
grâce aux petites ouvertures, l'air traverse le dôme. Ce
dôme vous permet aussi de suivre la course du soleil au cours de
la journée. Vous ne perdez pas le contact avec les
éléments."
Le rêve de Nader Khalili faut de construire des maisons simples,
en utilisant seulement les quatre éléments. Ce
rêve, il va le réaliser. La terre. L'eau. L'air… et
le feu ! Ce quatrième élément, Nader Khalili va
l'appréhender de manière pour le moins originale. Il
reprend une vieille technique utilisée en Iran pour solidifier
les voûtes : le feu…
"- Ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que l'on peut littéralement cuire sa maison.
- Comment çà ?"
Nader développe le concept de "Ceramic House". On fabrique un
dôme, on le couvre d'adobe. Puis on le remplit de bois, ou de
matériaux combustibles divers, et on met le feu… Le
bâtiment cuit en deux ou trois jours. Une fois refroidi, on
nettoie l'intérieur, et la maison est terminée.
"- Rends toi compte ! Il a fait ces
expérimentations en Iran, pendant les bombardements en Irak. Il
fallait faire le moins de lumière possible pour ne pas attirer
les avions de surveillance. L'atmosphère était
très tendue. Mais lui disait : brûlons, mettons le feu aux
maisons ! Il ne pouvait pas attendre, il fallait qu'il voit le
résultat."
Petit à petit, les idées de cet architecte hors du commun font leur chemin.
Le département d'urgence des Nations Unies est séduit en
2001 par les solutions de l'architecte iranien. Après une visite
à Hesperia, le Haut Commissariat pour les réfugiés
décide de faire appel à la technique mise au point par
Calearth. Plusieurs dizaines de dômes sont bâtis en un
temps record en Iran, suite au tremblement de terre de 2002.
En 2004 Nader reçoit le prix Aga Khan d'architecture.
Plus surprenant, c'est la N.A.S.A. qui contacte un jour l'architecte.
L'administration spatiale américaine a pour projet d'installer
des bases de vie sur la Lune, et si un jour c'est possible, sur Mars.
La technique Super Adobe est parfaite : une solution très
simple, il suffit d'emporter des sacs en plastique, et on les remplit
avec la poussière du sol lunaire, et les cailloux. Tout est bon
à prendre, le matériau est sur place. Pour ces projets de
la N.A.S.A, Nader a travaillé sur des prototypes de dômes
dont les sacs de terre sont assemblés avec du velcro ! Plus
léger que du fil de fer barbelé… Pour le projet
sur la lune, Nader s'inspire une fois de plus du poète Rumi, et
de son approche de la lumière. Pour pallier au manque d'eau, il
élabore une technique nouvelle : de grosses lentilles de Fresnel
concentreront les rayons du soleil, et vont cuire en quelques minutes
la terre grossièrement plâtrée sur le
dôme…!! Nader atteint là une de ses ambitions
ultimes : construire avec la terre et la lumière…
L'esprit emporté loin par tant de simplicité, nous sortons du "Rumi Dôme" le pas léger.
"- Nader voulait surtout que tout le monde sur Terre puisse habiter décemment. Il cherchait des solutions viables."
Nous nous approchons d' EarthHouse 1, un module d'habitat durable
construit ici pour valider un modèle de maison
américaine. EarthHouse 1 est une succession de cinq
voûtes, bâties sur des murs verticaux, entièrement
faits en "earthbags".
"- Nous avons un intérieur
tout ce qu'il y a de plus classique. Et nous avons fait deux garages.
L'idée était d'obtenir la certification des
autorités américaines pour un habitat qui puisse
être développé en série. C'est fait
maintenant."
Seuls quelques comtés aux Etats Unis (en Californie et au
Nevada) ont donné l'autorisation. Une centaine de maisons ont
été construites jusqu'à aujourd'hui.
"- La seule concession a
été d'utiliser un revêtement étanche pour la
toiture. La maintenance régulière des revêtements
n'est pas facile à accepter. Nader lui aussi d'ailleurs,
cherchait une certaine permanence des constructions."
En sortant de la maison, Iliona veut me montrer un mur, sur la droite.
"- Tu vois, là c'est ce qu'on
appelle "Reptile Wall", parce que çà ressemble à
des écailles de serpent par exemple. J'aime ce mur, parce qu'on
voit le travail des mains. Chaque motte que tu vois est ce qu'une main
peut contenir. Elles sont disposées de telle manière que
chaque motte d'Adobe est entourée de sept autres, le nombre
magique…
Comment est venue cette idée
de laisser apparente ces mottes d'Adobe ? Nader a vu que des fissures
apparaissaient à la surface des dômes, parfois. De toutes
petites fissures, qui ne sont pas graves car il y a très peu
d'humidité ici, et c'est aussi ce qui permet à la terre
de respirer. Mais les gens ont peur des fissures dans leurs maisons.
Les gens ne peuvent pas supporter l'idée des fissures chez eux.
Il faut que tout soit parfaitement lisse. C'est comme pour les
rides… L'industrie cosmétique profite du fait que peu de
gens acceptent de vieillir vraiment. Comme les gens n'aimaient pas les
fissures, Nader a eu l'idée de poser sur les murs une couche de
mottes d'Adobe. Ainsi, chaque joint entre ces mottes est une fissure,
qui devient ainsi décorative. Il a dit : laissons faire la
Terre, puisque c'est ce qu'elle veut."
Iliona nous a coupé des cubes de melon, et servi du jus d'hibiscus.
Un écureuil traverse en courant juste devant moi. Iliona me
disait tout à l'heure que le "Calearth Institute" est envahi de
lapins. J'en ai effectivement vu détaler plusieurs.
"- Ils viennent faire leur terrier ici, mais se nourrissent des plantes et des fleurs du lotissement voisin…"
Il est midi. Le vent du désert vient chanter dans les aiguilles
de ce grand pin qui procure une ombre bénéfique. Je suis
tout à coup emporté par une sentiment d'apaisement.
Serait ce parce qu'il s'agit de la fin du tournage ? Pas sûr. On
dormirait facilement sous ces grandes banquettes, bercé par le
son d'une petite fontaine qui rappelle d'autres pays, d'autres
rencontres, d'autres bonheurs…
A bientôt.
=:-)
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