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Australie - Les requins de la Grande Barrière
Australie - Grande Barrière de Corail
Dans la Nature avec Stéphane PEYRON
Avril - Mai 1997
Jeudi 8 Avril
Départ de Paris.
Mercredi 9 Avril
Hong Kong. On se pose dans le brouillard…
Journée à flâner dans Hong Kong, et au Concourse Hotel.
Jeudi 10 Avril
Arrivée Cairns. Il pleut ! Mais pas de vent. Orage tropical.
Vendredi 11 Avril
Vol de reconnaissance sur la Grande Barrière. A la recherche de l’îlot désert idéal…
6 heures de vol. Nous allons
jusqu’au nord de Lizard Island, vers Stapleton Islet. Je prends
en photo plus de 25 îles, dans la perspective d’y
établir un camp de base, avec le bateau, pendant le tournage.
Samedi 12 Avril
Décollage prévu à 8 heures, pour repérage sur la Daintree Forest.
Il pleut… mais nous partons quand même, pour essayer de repérer au maximum la zone.
Vol vers le Nord.
Nous tournons autour de “Twin
Sisters”, qui elles sont dans la purée de poix. Nous
survolons une très belle cascade. Puis descente de la Daintree
River, jusqu’à son embouchure.
Reco aérienne du petit terrain de Cow Bay.
Puis nous longeons la chaîne de montagne en direction de Moosman.
Moosman Gorge, magnifique, malgré la pluie et le brouillard en altitude…
Reco au dessus de Port Douglas, puis retour à Cairns.
Après midi à bosser à l’hotel, puis quelques courses.
Après le repas du soir, nous
allons traîner dans un bar avec Stéphane et Manu.
C’est Samedi soir…
Dimanche 13 Avril
Arrivée de l’équipe.
Travail sur le découpage le matin.
Travail sur les plans aériens l’après midi…
L’équipe (Bruno et
Adrien pour le son, et le photographe) vient d’arriver ce matin,
ils sont fracassés par le voyage…
Il pleut toujours… Cela fait
maintenant quatre jours que ça dure… il vaut mieux
qu’il pleuve maintenant que pendant le tournage, mais bon…
J’ai passé deux jours
de repérage avec l’Avion, au dessus des récifs de
corail, avec l’eau turquoise, et au dessus de la forêt
primaire de Daintree, une forêt tropicale épaisse,
forêt primaire qui ressemble à celle de bornéo
(avec des arbres un peu moins hauts tout de même…). Cette
région est vraiment très belle, et garde un
côté sauvage dès qu’on s’écarte
des lieux touristiques. Ici le tourisme est extrêmement bien
organisé. Les japonais sont très nombreux, à venir
faire de la plongée, et à consommer leur voyage de
noces… Cairns est ainsi une ville très moderne, et
très commerciale. C’est une sorte de grand centre
commercial au bord de la mer. Il y a la mer, et puis des magazins
(genre La Part Dieu), puis une petite plaine, et tout de suite les
montagnes recouvertes d’une épaisse forêt.
C’est fou le nombre de magazins, qui vendent tous les articles
pour les touristes. C’est incroyable.
Je préfére Port
Douglas, qui a un côté plus tropical, avec une marina
à côté du centre ville, des petits restaurants en
terrasse. C’est plus humain.
Côté film, il reste
des choses à régler, mais l’essentiel est vraiment
fait. La météo reste un vrai problème. Disons que
c’est un paramètre à intégrer vraiment dans
le planning, alors que nous pensions avoir 30 jours de grand bleu
non-stop.
On va faire avec…
L’Avion vole bien,
c’est vraiment un bel outil pour ce film et cet endroit,
c’est un peu l’outil idéal, pour parcourir des
distances énormes, se poser à volonté sur les
récifs, plonger à partir de l’avion, etc…
c’est un outil extraordinaire !
Je pense que ce tournage va bien se passer. Nous attaquons “cool”, pour rester en forme pour le bateau.
Lundi 14 Avril
Nous avons passé une journée dans la région de
Port Douglas, pour rencontrer nos personnages. Andrew d’abord,
ensuite Damien, le jeune archéologue, pour fixer les choses par
rapport au plan de vol, Ibrahim enfin, de l’Université du
Queensland.
Notamment Hazel Douglas, une femme
aborigène avec qui nous sommes allé faire un tour dans la
forêt primaire. Nous sommes allé voir le “Blue
Hole”. Instructif ! Elle connaît des tas d’histoires
incroyables. C’était très sympa. Nous avons aussi
rencontré un des scientifiques que nous allons filmer et que je
n’avais pas vu la première fois.
Il y a beaucoup de travail de
préparation sur le film, la mise en place de l’avion, la
gestion du temps, qui est compliqué avec ce nouveau
paramètre météo (temps pas forcément grand
bleu…). Mais je pense que ce tournage va bien se passer.
Nous sommes quasiment prêts,
même si je sais qu’il y aura des changements et des
emmerdements de dernière minute. Nous nous sommes
décidé sur le choix de l’île déserte
sur laquelle nous allons nous poser au début du tournage
bateau…
Question planning, à partir
de Mercredi, nous serons à Port Douglas, à l’hotel
où nous étions l’autre fois, donc joignable par fax.
Nous embarquons le Mercredi 23
Avril seulement, sur l’Undersea Explorer (le bateau) pour 16
jours de plongée. Mais nous serons joignables en cas
d’urgence par un téléphone satellite.
Enfin, les derniers jours, nous serons à Cairns, de retour au Tradewinds Hotel.
Je reprends ce
fax mardi matin. Hier nous avons passé une journée dans
la région de Port Douglas, pour rencontrer nos personnages.
Notamment Hazel Douglas, une femme aborigène avec qui nous
sommes allé faire un tour dans la forêt primaire.
Instructif ! Elle connaît des tas d’histoires incroyables.
C’était très sympa. Nous avons aussi
rencontré un des scientifiques que nous allons filmé et
que je n’avais pas vu la première fois.
Aujourd’hui, nous sommes
supposé faire des prises de vue aériennes, mais il pleut
encore ! Depuis que je suis là, il pleut ! Ca commence à
devenir inquiétant… Il fait beau partout en Australie,
d’après les cartes météo, sauf ici, à
cause du vent. Il souffle Sud-Est, alors c’est de l’air
froid, qui vient taper contre les eaux chaudes de la grande
barrière. C’est d’ailleurs la
spécificité de l’écosystème du
coin… C’est pour cela qu’il y a une forêt
tropicale qui s’auto-entretient en permanence. La présence
de la forêt fait se condenser de l’humidité qui se
transforme en pluie. Il pleut, la végétation se
développe, puis les crues, qui entraînent des
sédiments, qui viennent dans le lagon, et aussi de la
chlorophylle, des micro-organismes, qui vont développer une vie
dans le lagon. Ainsi, la chaîne alimentaire commence. Ce lagon
produit des eaux chaudes, et c’est au contact de cette chaleur
que les vents plus froids venus du Sud produisent de la pluie…
La boucle est ainsi bouclée… Tout est lié…
Et ici la situation est très claire. Nous en faisons
l’expérience tous les jours en ce moment. Le lagon est en
plus un milieu très fragile, très sensible.
Le tournage devrait démarrer
aujourd’hui. Il y a quand même une grosse pression, une
grosse responsabilité sur ce film. Mais je ne ressens pas
beaucoup de tension, Stéphane est assez détendu, je crois
qu’il a changé ces deux dernières années. Il
dit lui-même qu’il a envie de vivre de temps en temps. Cela
veut dire qu’il cherche des moments de farniente dans le tournage.
Moi je prépare le film, je
fignole le découpage, et je travaille sur les plans de vol, qui
sont compliqués… les distances sont énormes !
Je regarde sur le planning, et cela
fait déjà une semaine que je suis parti de la maison.
Nous n’avons encore pas tourné un plan !
Pour moi, une fois que le tournage
sera commencé réellement, les choses vont encore
s’accélérer. A mon avis, sur le bateau, ça
va être compliqué, parce qu’il y aura la
plongée, et puis aussi parce que nous serons 25 à
bord… un peu dur à gérer peut être…
Mardi 15 Avril
Aujourd’hui, nous sommes supposés faire des prises de vue
aériennes, mais il pleut encore ! Depuis que je suis là,
il pleut ! Ca commence à devenir inquiétant… Il
fait beau partout en Australie, d’après les cartes
météo, sauf ici, à cause du vent. Il souffle Sud
Est, alors c’est de l’air froid, qui vient taper contre les
eaux chaudes de la grande barrière. C’est d’ailleurs
la spécificité de l’écosystème du
coin… C’est pour cela qu’il y a une forêt
tropicale qui s’auto-entretient en permanence. La présence
de la forêt fait se condenser de l’humidité qui se
transforme en pluie. Il pleut, la végétation se
développe, puis les crues, qui entraînent des
sédiments, qui viennent dans le lagon, et aussi de la
chlorophylle, des micro-organismes, qui vont développer une vie
dans le lagon. Ainsi, la chaîne alimentaire commence à se
développer. Ce lagon produit des eaux chaudes, et c’est au
contact de cette chaleur que les vents plus froids venus du Sud
produisent de la pluie… La boucle est ainsi
bouclée… Tout est lié… Et ici la situation
est très claire. Nous en faisons l’expérience tous
les jours en ce moment. Le lagon est en plus un milieu très
fragile, très sensible.
Le tournage devrait démarrer
aujourd’hui. Il y a quand même une grosse pression, une
grosse responsabilité sur ce film. Mais je ne ressens pas
beaucoup de tension, Stéphane est assez détendu, je crois
qu’il a changé ces deux dernières années. Il
dit lui-même qu’il a envie de vivre de temps en temps. Cela
veut dire qu’il cherche des moments de farniente dans le tournage.
Moi je prépare le film, je
fignole le découpage, et je travaille sur les plans de vol, qui
sont compliqués… les distances sont énormes !
Pour moi, une fois que le tournage
sera commencé réellement, les choses vont encore
s’accélérer. A mon avis, sur le bateau, ça
va être compliqué, parce qu’il y aura la
plongée, et puis aussi parce que nous serons 25 à
bord… un peu dur à gérer peut être…
Mercredi 16 Avril
Depuis Cairns, tournage aérien sur “Batt Reef”, avec un Cessna flotteur.
Difficile de caler le vol en
patrouille… Mais nous faisons des images au ras de l’eau
avec le jaune. Bruno n’est pas très content, mais moi si,
au vu des images.
“Remember when you where
young…” les petites enceintes du walkman de Peyron
diffusent Pink Floyd… Incroyable ! Je n’ai pas
écouté cette musique depuis des années.
“Rappelles toi quand tu étais jeune…” Je me
rappelle quand j’étais jeune… Je n’ai pas
beaucoup vieilli. Juste accumulé deux ou trois
expériences. De ces moments qui vous transportent, qui vous
tordent le coeur. Des moments de douleur, ou de solitude, mais aussi
des moments de gaité, de bonheur partagé, ou de
mélancolie…
Ce n’est pas vrai qu’on
oublie les moments difficiles. Ils sont quelque part au fond de vous
même, et ils ressortent parfois, au hasard d’une
association d’idées.
Je suis parfois semé de doutes, de questions. Normal. Des questions…
Mais en même temps, et
ça peut paraître contradictoire, j’ai parfois le
sentiment inverse. C’est marrant, j’ai aussi
l’impression d’être de plus en plus serein dans ma
vie. Je veux dire par là qu’il y a une sorte de force en
moi, qui me rend difficilement vulnérable. Je ne sais pas si ce
sont les quelques expériences dures de ces derniers mois qui
m’ont fait cet effet, ou alors le fait d’être
père, ou alors les années qui passent, ou alors un peu de
tout ça ? En tous cas, c’est net. Je le ressens ici de
manière très nette.
C’est vrai aussi que ce pays
est facile à vivre. Pour nous en tous cas, qui sommes là
dans un but précis, avec un certain nombre de moyens à
notre disposition.
Tout ça pour parler des questions qu’on se pose… De la manière dont on se sent.
Ce soir, le ciel s’est
dégagé. Les étoiles partout. Demain je suis
quasiment sûr que nous aurons une belle journée de
tournage. Nous irons voler avec l’Avion, au dessus de la
forêt s’il fait beau. Et puis après au dessus des
récifs de corail. Enfin des premières images !
Aujourd’hui, ça a failli, mais il y avait encore des
averses au milieu des grandes éclaircies.
A midi, au moment du repas, Bruno
s’est jeté dans la piscine pour sauver un
bébé… La mère regardait du bord…
Même pas un merci, pas affolée la maman ! En fait il y
avait une sorte de petit bassin à remous, et le gamin (en
dessous de deux ans) s’y amusait ! Loin du regard de sa
mère… Et puis le gamin n’a pas vu la marche,
s’est avancé encore d’un pas, et a disparu sous
l’eau. Nous l’avons vu, nous mangions à
côté. Bruno s’est jeté instantanément
dans la piscine, a emjambé le muret du jaccuzi, et a
plongé pour sortir le gamin hors de l’eau. Sa tête
avait disparu depuis un moment déjà… Il hurlait en
ressortant ! Quelle panique…!
Je reprends cette lettre Mercredi
16 - 22 heures heure locale. Ca y est : tout
s’accélère… Ce matin, c’était
notre première journée de tournage. Plan aériens
avec l’Avion et un petit avion Cessna à côté
pour les images. Le tout au dessus du récif.
C’était magnifique. L’eau turquoise à perte
de vue, avec les patates de corail. Il a fallu éviter les
averses… synchroniser les deux avions question vitesse,
etc… pas facile ! Mais je suis content. Nous avons d’ores
et déjà de très belles images aériennes du
récif. Des images qui font rêver.
Il ne reste plus qu’à
construire l’histoire ! Demain, nous tournons avec Hazel Douglas,
une aborigène, qui doit nous emmener au “Blue Hole”,
une vasque dans une petite rivière dans la forêt. Le
tournage démarre vraiment. Le “Blue Hole”,
c’est une vasque au milieu de la forêt primaire. Il y a des
petites tortues, et des sortes d’écrevisses
géantes, et des petits poissons. Les grands arbres autour
protégent du soleil. Ce n’est pas loin du tout de la
piste. Une journée facile et intéressante,
l’aborigène doit raconter les histoires de sa
communauté, et les légendes de la forêt. Pour eux,
chaque plante, chaque animal est la réincarnation d’un
être humain, donc un esprit, qu’il convient de
ménager. Ainsi, quand les abos sont obligés de couper un
arbre de la forêt, ils en replantent immédiatement un
autre à la place, pour le remplacer.
Voilà, il faut encore que je prépare le matériel pour demain.
Aujourd’hui, nous nous sommes
déplacé à Port Douglas. Nous serons à cet
hotel, le Torresian Resort, jusqu’au Mardi 22 au soir. Nous
embarquons le 23 au matin sur l’Undersea Explorer, le bateau,
pour 16 jours.
Jeudi 17 Avril
Tournage au “Blue Hole”, avec Hazel Douglas et Andrew.
Démarrage difficile, avec
Adrien et Bruno qui se prennent la tête sur le placement. Nous
tournons à deux caméras. Belle discussion, au bord de
l’eau.
Puis tournage d’images avec le caisson, et des ambiances forêt en béta.
Vendredi 18 Avril
Rendez vous au petit matin à la Daintree River. Je suis un peu
dans le seau, après ces activités des derniers jours.
L’avion se pose. Tournage du breifing cartes, puis décollage.
Survol du Daintree National Parc.
5 h 30, sur la jetée de Port Douglas.
Il faisait chaud ici, il n’y
avait pas un brin d’air. Les étoiles brillaient encore,
mais le jour commençait à poindre.
Une grosse journée de
tournage commencait : nous sommes partis pour survoler la forêt
avec une femme aborigène, et un archéologue à bord
de l’avion jaune. En même temps, il fallait caler des plans
aériens de l’Avion, faits à partir du petit Cessna.
A 5H30, sur le quai, je devais prendre la décision de faire ou
pas ce vol, qui engage des heures de prise de vue, de carburant avion,
etc… Finalement j’ai lancé
l’opération, et j’ai bien fait, nous avons eu une
météo correcte. Pas parfaite, mais nous avons eu quand
même beaucoup de chance, nous avons pu survoler les montagnes et
la forêt, les cascades, etc… J’étais à
l’intérieur de l’avion, et Bruno filmait à
partir du Cessna (c’est un petit avion, et celui-ci est sur
flotteurs, ce qui permet de se poser sur l’eau).
Dans l’Avion,
c’était bien. La femme aborigène (Hazel) faisait le
premier vol de sa vie… Elle revoyait ainsi les lieux
qu’elle a rêvé depuis son enfance. Les abos voyagent
dans l’espace à partir de leur cerveau. Ils se racontent
les histoires de génération en génération,
et vivent ainsi leur histoire, leur passé, le présent, et
leur futur. C’est le “Dreamtime”, le temps du
rêve. Une des plus anciennes traditions orales du monde, qui fait
appel à la transmission de savoir des lieux et des esprits de
génération à génération.
C’était un beau vol.
Difficile à filmer, car beaucoup de turbulences, mais
intéressant. Cette après midi était off, du coup,
ce qui m’a permis de déruscher les cassettes
tournées aujourd’hui. Il faut sans arrêt caler le
planning du lendemain, et c’est finalement la chose la plus
compliquée, car faisant intervenir des tas de paramètres.
Quand nous serons sur le bateau, cela devrait être plus facile.
Samedi 19 Avril
Journée de Stand by. Rythme un peu bizarre, mais je sais ce qui
nous attends pour la suite. Alors ce n’est pas la peine de cramer
l’équipe dès les premiers jours.
Préparation de tout le matériel pour le bateau, et aussi essai du caisson dans la marina de Port Douglas.
Le soir, nous mangeons chez les “toons”, chez qui nous avons passé un deal…
Dimanche 20 Avril
Dimanche matin. Hier, c’était une sorte de “Day
Off”, servant à la préparation du matos pour le
bateau, des essais avec le caisson étanche pour filmer les
crocodiles, etc…
Je t’ai eu au
téléphone hier soir, c’était bien.
C’est bien d’avoir des nouvelles… Je crois que
j’aurais maintenant beaucoup de mal à partir de longues
durées sans avoir et donner des nouvelles. L’Australie,
c’est un tournage idéal pour ça.
Il y a des jours où on sent
plus que d’autres l’énorme distance qui nous
sépare. Je suis de l’autre côté de la terre,
et c’est vraiment loin.
Et en même temps, il
m’est arrivé des tas de fois d’être aussi
éloigné. Au Pakistan par exemple… Quelle histoire
! Je repense souvent à cette descente infernale dans le mauvais
temps, ce retour sans fin, avec le mal au ventre…
J’étais arrivé dans un sale état… Je
revois cette salle des urgences à l’hôpital de Die.
Je pleurais parce que c’était enfin terminé. Voici
un bout de mon journal de bord, d’ailleurs pas encore fini
d’écrire, une histoire chassant l’autre :
“Après une heure
à plat et la traversée de la rivière Shimshal, le
sentier remonte pendant longtemps. C’est la partie la plus
diificile du parcours pour moi. Le frère d’Iqbal est parti
ce matin tôt avec mon sac. Je reste seul avec Ali, et mon petit
sac de la journée. Il ne faut pas qu’il m’arrive
quelque chose maintenant. Que pourrait faire Ali seul, dans ces pentes
d’éboulis qu’il faut parfois franchir avec de
l’élan pour éviter de glisser avec les
éboulis...?
Il neige maintenant, la
température a dû baisser... Je me fixe des objectifs. Le
regard bas sous la capuche qui dégouline, j’entrevois la
suite du parcours. Loin, là bas, ce virage qui se découpe
dans le vide. Disons qu’il faut aller jusque là bas. Je
marche comme un noctambule.
La neige et la pluie font
maintenant se décrocher d’énormes blocs de rochers
qui dévalent les pentes...que nous traversons. Partis de
plusieurs centaines de mètres au dessus de nos têtes, dans
des amoncellements de blocs incroyables, ils se fracassent cent ou deux
cents mètres plus bas, dans la rivière, au fond du
canyon, après s’être éclaté en mille
morceaux. La poussière se mêle à
l’écho du fracas de ces blocs dans la vallée.
Dans les passages délicats,
Ali lève la tête pour essayer d’anticiper. Nous
regardons vers le haut, puis passons en courant ces couloirs où
les pierres sifflent autour de nous. Tout à coup, un
énorme craquement: un véritable “piano” vient
de se fracasser à quelques dizaines de mètres
derrière nous. Un bloc qui devait peser quatre ou cinq
tonnes...”
Ensuite il y a eu la descente vers Gilgit, puis les gorges de l’Indus, etc…
Un sacré souvenir, un
incident qui est mal tombé dans l’année.
J’aurais tant voulu boucler cette affaire. Je crois que
j’aurais fait de très belles images sur cette hitoire, en
étant en forme.
En rentrant, je prévois de
reprendre une activité sportive régulière,
quoiqu’il arrive. J’ai trop besoin de ça. J’ai
horreur de cette sensation de n’être pas au top de ma
forme. L’an dernier, j’ai ressenti souvent ça. En ce
moment ça va bien. Mais je sens le besoin de grosses
dépenses physiques. Envie de partir très tôt le
matin, et d’aller crapahuter sur les hauts plateaux, envie de
faire une grosse exploration souterraine, envie de courir dans les
chemins du Diois, envie d’enchaîner les longueurs dans la
piscine.
Et le bien être moral suit
aussi le bien être physique. C’est bien, je rentrerai en
forme de l’Australie, et cela sera une bonne base de
départ.
Nous sommes Dimanche matin.
Cette après-midi, nous
filmons une scène avec les aborigènes, qui va durer un
peu dans la soirée. Je rentrerai tard. Demain, nous partons
tôt à Cairns, pour faire un vol de prise de vue raccord
sur la forêt. Mardi, nous allons sur une petite île en face
de Port Douglas, et mercredi nous embarquons sur l’Undersea
Explorer.
Ce matin, Bruno est parti
tourné d’autres images à Blue Hole, avec le
caisson, en essayant de filmer les tortues sous l’eau…
En fin d’après midi,
nous sommes à la communauté de Mossman, pour filmer le
visionnage de ce que Damien a tourné… Il n’est pas
là, et les abos ne sont pas là non plus…
Crise… De notre côté, tout est prêt…
Au bout d’une heure, on
apprends que Damien a été vu en train de boire des canons
dans un bar à Port Douglas. Vincent file le chercher et le
trouve complétement bourré !
Nous reportons le tournage de cette scène à demain… Petite journée…
Le soir, coup de fil dramatique
depuis La France : "Prof" vient de disparaître, dans un accident
d'avion, au lac de Sainte Croix, dans le Verdon.
Lundi 21 Avril
Port Douglas. Lundi après midi.
Depuis hier soir, ici, on essaye d’accuser le coup. C’est un choc terrible.
Tout s’est tellement bousculé dans ma tête…
Je voudrais te donner du courage,
t’aider dans ces moments difficiles. Tout le monde se sent
impuissant dans ces cas là, sauf ceux qui ont la faiblesse de
croire que tout cela a un sens… Mais moi qui suit seul ici, je
me sens particulièrement impuissant.
Tu peux ne pas lire ce qui suit. Ce
sont des souvenirs. Peut être tu préféres exorciser
différement tout cela. Je ne sais pas. Il y a une chose,
c’est que tu es chez nous. Et moi je suis loin, je ne peux que me
raccorcher à des souvenirs…
D’un côté
c’est nul de parler de quelqu’un qu’on connaît
peut être finalement peu, même si ça fait quinze ans
qu’on le cotoie, qu’on sait ses qualités, ses
défauts, ses réactions devant tel ou tel
évènement de la vie… Mais je le fais pour moi.
Parce que ça m’aide, j’imagine…
Je me souviendrai toute ma vie ma
première rencontre avec Prof. Je te l’ai
déjà raconté cents fois…
C’était pendant Radio Vercors, installée à
Die pendant 15 jours, pour les vendanges. La radio fonctionnait deux
heures par jour seulement, de 18 heures à 20 heures, deux heures
de programme entièrement fabriqués in situ, avec le petit
studio installé sous une toile de tente, à
l’emplacement actuel de la “petite cave”… Un
des derniers soirs, après un repas bien arrosé, nous
avons décidé d’aller saluer les auditeurs
présents sur l’antenne. André était dans la
bande. Il était minuit, et nous avons debouché une
bouteille de clairette à la santé des auditeurs du Diois,
en les invitant à venir la partager avec nous… Cinq
minutes plus tard, Prof s’est pointé, en robe de chambre,
mal rasé, avec un verre à pied dans la main…
C’est comme ça que je l’ai connu…
Je me souviens aussi de ta
première arrivée dans le Diois. La route dans le
brouillard, le boulanger qui bloque la route aux Nonnières,
l’arrivée à Die, dans la petite rue des casernes,
Prof qui nous attendait. Et cette chambre d’amis, avec le petit
avion en bois qui volait sous un plafond de nuages en papier de
soie… Prof au petit matin, qui à l’époque se
levait parfois tôt, et préparait un petit déjeuner
qu’on faisait traîner jusqu’à point
d’heure…
Je me souviens de Prof quand nous
travaillions ensemble à la radio, de l’autre
côté de la vitre du studio.
Je me souviens de lui sur
“Ligne Blanche”, pendu au généphone. Toujours
en liaison avec la surface…
Prof dans les tournages… Je
le revois pendu dans les falaises, en train de préparer sa
mixette, ses micros et ses cables. Je le revois le matin, toujours
à la bourre, parfaitement insupportable dans ces moments
là. je le revois “à la ramasse” avec ses
cables qui pendent de partout, ses yeux bouffis derrière ses
petites lunettes rondes…
Je le revois à la maison,
quand il passait boire un coup, partager un moment de nos vies…
On réalise toujours quand ils disparaissent comment nos proches
étaient importants dans notre vie… Je veux dire que je
sais bien qu’on ne dit pas assez à ceux qu’on aime
qu’on les aime… Pourquoi ?
Le temps passe, et un jour tout se brise, d’un coup, bien sûr…
Prof aimait la vitesse.
Il est parti en jouant. Au jeu
qu’il préférait. Il aimait rouler vite,
déraper sur la neige, en ski ou en voiture. Il
n’était pas très bon à ce jeu là,
mais il aimait… Et savait faire partager son plaisir dans ces
moments là.
Et il aimait avant tout
voler… Ses indescriptibles histoires de delta… Son vol
incroyable sur Glandasse, au coucher du soleil, et la fois où il
volait sur les crêtes de Vassieux en suivant un cerf qui
bondissait dans la neige… C’est comme ça
qu’on l’aimait…
Parfois nous poussons le bouchon un
peu loin. Je sais ces moments là. J’en ai vécu.
Nous faisons un métier extraordinaire, mais nous prenons aussi
des risques. Le tout est de les calculer. Parfois un des
paramètres nous échappe, et c’est le trou noir. On
a vite fait de dépasser les limites. J’en ai une
conscience toute particulière, pour m’être
engagé loin…
Il est parti et c’est un
avertissement, aussi. Nous en avons tous eu plusieurs,
déjà… Je sais depuis longtemps qu’on est
jamais tous seul, et qu’on ne fait pas comme on veut. Je veux
dire que parce que je suis avec toi, je me comporte différement.
Je prends moins de risques. C’est sûr. Je m’engage
moins. Je recalcule les marges de sécurité en permanence.
Tu me sais prudent. Je le suis au
maximum. Il est évident qu’aucune image ne vaut une vie.
Je l’ai toujours dit. Il faut relativiser en permanence.
Même si on est passionné. Bien sûr Prof ne
travaillait pas ce jour là, mais il était pris à
fond dans son histoire, celle qui lui était intimement
personnelle. En même temps, c’est cela qu’il faut
admirer, respecter, même si c’est dur pour nous qui restont.
Il est parti en jouant… Il
faut se dire qu’il a eu une très belle vie. C’est
juste insupportable pour ceux qui restent…
Je l’imagine au ras de
l’eau, à bord du petit avion, en train de rigoler. De
chaque côté les montagnes du Verdon, qui défilent.
L’eau sombre aux mille nuances. Je connais ces moments là.
Ils procurent tant de plaisir…
Il nous a tous eu, parce qu’il était le plus méchant…
---
Tournage de la scène du
visionnage, en fin d’après midi. Très belles
lumières. Discussion intéressante. Stéphane est
dans le ton.
Mardi 22 Avril
Nous partons tôt le matin à Low Isles, avec Ibrahim et son bateau.
Il fait beau, mais beaucoup de vent, alors la mer tabasse un peu.
Sur l’île, il y a beaucoup de vent.
Pendant que Bruno part dans la
mangrove avec Jeff le ranger, je tourne une longue scène dans le
laboratoire scientifique de Low Isles, avec Ibrahim et Andrew.
Très intéressant.
L’après midi, retour
à Port Douglas, et préparation des caisses pour le
bateau. Nous embarquons demain matin sur l’Undersea
Explorer…
Mercredi 23 Avril
Il ne fait pas très beau.
Tout le matériel est embarqué sur l'Undersea. Nous
commençons la plus grosse partie du tournage… Cà
commence à devenir excitant.
L’Undersea appareille, et
nous mettons cap au Nord, direction Cooktown, où nous avons
rendez vous avec Georges Munigan, un abo de la région du Cap
Melville.
Très vite, dès que
nous sommes sortis de la baie de Port Douglas, le bateau se met
à rouler et tanguer de toutes ses forces. L’avant plonge
dans les vagues, et les embruns passent au dessus de la cabine. Le ciel
est noir, il y a beaucoup de vent.
La plupart se couchent dans les cabines. Chacun commence à prendre ses marques.
Jeudi 24 Avril
Au petit matin, en avance de deux heures, l’Undersea arrive à Flinder Island.
Il fait beau, mais il y a toujours
beaucoup de vent. Nous jetons l’ancre dans le chenal entre
Flinder Island et l’île au nord.
Nous avons rendez vous avec l’avion, pour commencer l’opération “Dugong”.
Tournage sur le pont de l’Undersea.
L’arrivée de l’avion.
Nous nous organisons pour le tournage en synchro depuis l’avion, et depuis les zodiacs, à la recherche des dugongs.
L’Undersea s’éloigne, nous attendons une demi heure, puis démarrons l’avion.
Nous sommes partis un peu vite
à mon goût… Juste au moment de décoller,
Bill n’a pas vu arriver le gros train de vagues de houle qui
vient de la gauche, nous rebondissons sur une première vague
pour rentrer de plein fouet dans la seconde… Le parebrise en
plexiglass explose ! J’étais en train de m’installer
sur les fauteuils, et je prends de l’eau sur la béta !
Nous ne réalisons pas tout de suite la portée de cet incident. En tous cas, nous avons eu très peur.
L’avion est beaché.
Nous avons réussi à contacté l’Undersea qui
continue l’opération “Dugongs”, et nous
attendons qu’ils finissent pour nous rejoindre.
Bill a sorti sa musique sur la plage, et décompresse.
Stéphane et moi avons déroulé les hamacs, et nous attendons dans l’avion.
J’ai eu très peur. Stéphane aussi je crois. Nous décompressons dans les hamacs.
Bill est avachi sur la plage, avec son lecteur de CD et les enceintes. C’est un peu surréaliste…
L’Undersea revient,
après la première opération “dugongs”,
qui s’avère plus compliquée que
prévue…
Nous partons en Zodiac avec Georges pour voir les peintures rupestres…
Vendredi 25 Avril
Suite de l’opération “Dugongs”.
Tournage avec les zodiacs.
L’avion repart à Cooktown.
Puis nous mettons cap sur la Normandy River, infestée de crocodiles.
Tournage dans la mangrove, avec John Mac Gregor.
Rencontre avec les pêcheurs, à l’embouchure de la rivière.
Nous rentrons à la nuit tombante.
Samedi 26 Avril
Nous sommes de nouveau à l’ancre dans le chenal.
Opération “Dugongs
3”. Cette fois ci je compte bien tourner les raccords à
l’intérieur de l’avion qui survole Clack Reef.
Mais les conditions ne sont pas bonnes pour décoller.
Tout le monde est un peu tendu. Je ne suis pas rassuré. J’essaye d’oublier le contexte, de relativiser.
Bill a mis les gazs. Nous sommes
prêts du décollage, et à ce moment là, nous
prenons un vent rabattant en rafale qui couche l’avion…
Bill a tout basculé du bon côté, mais le bout de
l’aile est passé de justesse au dessus des vagues. Nous
étions à 100 kilomètres heure. Trois secondes de
plus, et c’était bon.
L’avion encaisse les vagues,
et Stéphane dit à Bill d’arrêter. Je regarde
les jambes de Bill qui tremblent… Il a eu très peur aussi
je crois. A ce moment là, quelque chose bascule dans ma
tête. Je me dis qu’il faut arrêter ces conneries,
qu’il faut réorganiser les prises de vues aériennes
à partir d’un aéroport en dur, en l’occurence
Lizard Island. Stéphane me regarde. Je sais aussi qu’il a
eu peur. Il faut calmer le jeu.
Nous attendons l’Undersea Explorer, et nous partons avec Bruno faire des images du bateau depuis la colline.
Le soir, barbecue sur la plage
à la tombée de la nuit. Très belles
lumières. beaux dégadés. Discussions. Une
très belle scène.
Dimanche 27 Avril
Dans la nuit, juste après le
barbecue, l’Undersea a mis le cap vers le sud. Nous quittons la
zone de Flinder Island.
Première plongée
décevante à “No Name Reef”. Du courant. La
visibilité n’est pas bonne du tout. Mais
c’était une plongée pour tester les gens et le
matériel.
Puis deuxième plongée à “Cod Hole”, avec les mérous.
La visibilité n’est
pas bonne, mais nous tournons quand même une belle scène
avec Monique et Stéphane qui “dansent avec les
mérous”.
Lundi 28 Avril
Nous avons passé la nuit à l’ancre. Deuxième
plongée à Cod Hole, pour tourner les raccords de la
scène d’hier.
L’après midi, nous
mettons le cap un peu plus au sud, pour aller plonger à
Pixie’s Pinnacle, une patate de corail riche en faune et en
coraux. La visi n’est pas meilleure, et je ne suis pas
bluffé par le décor…
La vie s’organise sur le bateau.
Le soir, nous faisons une plongée de nuit à Pixie’s Pinnacle, avec une très belle ambiance.
Mardi 29 Avril
Nous mettons le cap sur Lizard Island. Nous devons débarquer
Georges Munigan et Gillot, faire du fuel pour le bateau, et embarquer
trois nouveaux membres d’équipage…
J’en ai profité pour
caler deux vols avec l’avion, à partir du petit terrain en
dur. il y a beaucoup de vent, il ne fait pas très beau, mais les
conditions sont quand même meilleures, et les nuages commencent
à s’éloigner en milieu de journée.
Nous faisons un premier vol avec
Dave, en survolant un récif au Nord de Lizard, puis un
deuxième vol avec Andrew et Monique, en volant au dessus de
Ribbon Reef, au sud de Lizard Island. Bruno vole avec le cessna pour
faire les images aériennes de l’avion jaune au dessus de
la grande barrière.
En milieu d’après
midi, nous réembarquons sur l’Undersea, qui a fait le
plein et récupéré Bill, et deux
hôtesses…
Mercredi 30 Avril
La nuit a été mouvementée. Nous avons mis le cap
sur Osprey Reef. J’ai mis le réveil assez tôt, pour
tourner une scène avec Stéphane dans la cabine du
capitaine.
Les embruns viennent frapper les
vitres de la cabine. Le ciel est gris. Le pont trempé par la
grosse mer. Le bateau fait des bonds dans la houle. Tout le monde a mal
dormi…
Nous ancrons à North Horn,
la pointe nord du récif, l’endroit où les courants
se croisent, et où toute la faune se retrouve. Toute la
chaîne alimentaire est là, des petits poissons
jusqu’aux espèces pélagiques, et les requins....
Tout de suite, première
plongée de Monique et Richard pour voir les requins. Il
s’agit de voir qui est là…
Le soir, nous ancrons à
Admiralty, un mouillage à côté de la passe du lagon
d’Osprey reef, plus protégé du vent.
Jeudi 1 Mai
C’est la fête du travail, non ?
L’équipe de biologiste
a décidé de commencer à tager les requins. Tout le
monde est sur le qui vive.
Capture sur la plateforme, dans un premier temps.
Concentration…
Le soir, première plongée de nuit à Admiralty.
Nous utilisons le système de
masque Aga pour communiquer. Je suis un peu crevé. Il faut dire
que je suis sur le qui vive tout le temps sur le bateau. Gérer
l’équipe, faire les plannings, essayer d’anticiper
la vie à bord, rester concentré pour assurer les
scènes de vie à bord. Beaucoup de tension.
Le début de la
plongée se passe assez mal. Je n’ai pas eu le temps de
m’organiser suffisament. Tout le monde a sauté à
l’eau, et moi je me retrouve dans le courant avec tout le matos,
et les lumières, et mon détendeur qui fuse ! Je
n’arrive pas à l’arrêter, et je perds tout de
suite 40 bars de pression sur ma bouteille…
Je décide de remonter tout de suite.
Pas facile pour Bruno de caler les lumières…
Vendredi 2 Mai
L’Undersea est revenu s’ancrer à North Horn. Il y a
une tension particulière ce matin. Une question divise
l’équipage : certains veulent tager sous l’eau,
capturer à la main les requins. D’autres disent que
c’est de la folie, et pensent que c’est nous qui mettons
trop la pression pour faire cela…
Bruno ne sait pas quoi en penser.
Moi, j’essaye d’avoir les avis de tout le monde, et je
regarde surtout Richard, le spécialiste des requins, qui se
prépare, et qui fait des signes approbateurs. Après tout,
c’est lui qui s’y connaît le plus. Nous sommes
obligés de lui faire confiance.
Il faut dire qu’il y a deux
mois, Monique s’est fait attraper par un requin et prendre le
bras. Elle conserve une grosse cicatrice, et un souvenir pas facile.
Depuis cet accident, ils avaient décidé de ne plus
capturer les requins sous l’eau, mais de les attraper par la
queue, de les hisser sur la plateforme arrière, pour les
étudier, les mesurer et les tager.
Samedi 3 Mai
Petit déjeuner avec John et Stéphane.
Plongée John et Stéphane. Cà se passe assez mal.
Deuxième plongée à Admiralty. Je plonge avec Bruno, et nous nous balladons dans le corail.
Discussion dans le labo / Corail, avec Monique, Andrew, et Dave.
Dimanche 4 Mai
Nous quittons Admiralty pour l’intérieur du lagon.
C’est la première fois que l’Undersea s’engage
dans le sud du lagon. Nous allons y rejoindre l’Avion, pour des
prises de vues aériennes d’Osprey Reef.
Vues aériennes d’Osprey. Le cessna est là.
Le soir, l’avion retourne à Cooktown.
Nous tournons une bouffe sur le pont.
Lundi 5 Mai
L’avion revient.
Nous tournons d’abord l’avion qui survole les plongeurs.
Nous volons ensuite avec Monique et Richard sur Osprey reef. Très beau vol.
A la fin du vol, nous tournons les
images de récupération des plongeurs pour la scène
d’introduction du film.
Bruno sort juste de l’eau, où il vient de filmer les coraux dans l’eau peu profonde du lagon.
Mardi 6 Mai
Ce matin très tôt, l’Undersea a quitté le
lagon pour repartir à North Horn. Stéphane et Richard
plongent ensemble pour aller voir les requins, qui sont un peu plus
nombreux et excités aujourd’hui !
Puis, discussion sur le corail sur
la passerelle avant. Nous avons débarqué Bruno, qui fait
des plans du bateau depuis le récif à marée basse.
L’undersea remet le cap sur
Admiralty, où nous coupons complétement les moteurs, pour
enregistrer des voix off de Monique et Richard, qui parlent d’eux
et de leur passion.
Cà fait du bien de ne plus avoir le ronronement incessant du moteur pendant un peu plus d’une heure…
Le soir, plongée de nuit.
Nous voulons tourner dans une grotte, mais nous n’avons pas
encore eu le temps de la repérer… Nous perdons beaucoup
de temps à communiquer. Moi je n’ai pas l’habitude
de ce masque de communication, et j’ai de mal à passer au
niveau des oreilles. Nous réussissons quand même à
caler quelques plans… Pas simple…
Mercredi 7 Mai
Nouvelle plongée à North Horn pour Bruno. Il descend
à - 35 pour filmer les soft corals. Moi je fais une
plongée extraordinaire avec les requins. Ils sont
particulièrement nombreux ce matin… Et excités !
Richard, qui essaye d’en
attraper de nouveau pour les marquer, nous conseille de rester le long
du tombant. Je compte 25 requins qui tournent autour, dont
“Madonna”, ce requin femellle au comportement un peu trop
agressif au goût de l’équipage…
Deuxième plongée pour Bruno, qui tourne les raccords pour la séquence d’introduction.
Cap sur Admiralty.
Je tourne une séquence de
chasse sous marine avec Jhonno, le cuisinier, et Stu, le
mécanicien… Bill pilote le zodiac, nous prenons une belle
rincée ! Belle ambiance. Monique tourne les images sous marines
de la chasse.
Le soir, de nouveau plongée
de nuit, qui merde au début, Vincent n’arrivant pas
à passer au niveau des oreilles. Finalement, tout fonctionne
à peu près bien. C’est une plongée rentable.
Nous filmons même un requin en train de se nourrir sur le
corail…
Jeudi 8 Mai
Juste après la plongée de nuit, nous avons quitté
Osprey Reef. La mer a été moins mauvaise
qu’à l’aller… Nous ancrons ce matin à
Challenger Reef, un récif sur la route du sud, la route du
retour.
Tout le monde commence à être fatigué…
Nous plongeons avec Bruno, pour faire de la macro. Très belle plongée d’une heure sur les patates de corail.
L’Undersea remet cap au Sud, et ancre à Harrier Reef.
Nouvelle plongée d’une
heure sur les coraux, qui sont ici plus développés
qu’à Osprey reef.
En fin d’après midi,
à la belle lumière, nous filmons une discussion entre
Monique et Stéphane, sur le pont. Discussion très libre,
très sympa.
Le soir, Stéphane,
après le diner, lance le thème des aborigènes.
Nous filmons une discussion, qui me permettra de lier les scènes.
Vendredi 9 Mai
L’Undersea ancre à Undine Reef, petit ilôt de sable
perdu dans le lagon. Un endroit idylllique. L’Avion, à qui
nous avons donné rendez vous, se pose sur une eau tranquille. Il
fait grand bleu. Nous avons de la chance !
Nous tournons la scène de
fin du film, entre Richard et Stéphane. Ils sont sur cet
îlot désert, et discutent.
Ensuite, nous filons à
Snapper Island, pour débarquer Bruno qui fait des images de
l’Undersea à très longue focale, naviguant le long
de la côte.
Finalement, nous passons à Low Isles. Ibrahim ne nous a pas attendu. Il est parti !
Nous tournons quand même le
coucher de soleil à Low Isles. Encore de la chance cette fois ci
: il y a des lumières changeantes, et très belles.
La nuit est tombée.
L’Undersea a remis le cap sur Port Douglas. Nous
débarquons… 17 jours sur ce bateau, qui se terminent.
Bouffe mémorable au “Salsa”. Nous finissons au “Waterfront”.
Nuit dans le bateau.
Samedi 10 Mai
Journée Off !!!!!
Nous achetons des t-shirts à
Port Douglas, et avant de quitter la ville, nous filons chez
l’antiquaire que j’avais repéré.
Nous craquons sur des tas de
meubles. Les vendeurs sont très sympas. Le problème,
c’est el prix du transport par avion…
Finalement, nous rentrons à Cairns, pour nous installer au Tradewinds Trinity Bay Hotel.
Cà y est ! Le gros du
tournage est terminé… Nous avons débarqué
du bateau ce matin, non sans difficultés… Vraiment
bizarre de débarquer après 17 jours d’un bateau sur
lequel il y a eu plein d’histoires, plein d’actions, plein
de découvertes. Ce matin, nous émergeons lentement. Il a
fallu tout ranger… et nous n’étions pas très
en forme. C’est le coup de barre de décompression.
Il reste quelques images aériennes à faire, mais tout le film est fini.
Je met à jour un journal de
bord, que je n’ai pas pu tenir sur le bateau, car le programme
était trop chargé, et taper sur le mac en pleine mer, ce
n’est pas facile…
Ici il fait très chaud, toujours, et j’ai de la peine à imaginer les chutes de neige sur le Vercors…
Dans quelques jours je serai
à la maison… Un peu plus d’un mois, c’est
long… Je sais que c’est trop long, pour tout le monde.
Mais je ne regrette rien, car ce tournage était très bien
malgré tout, et cela sera un beau film. Comme disait Bill, un
photographe à bord du bateau, en regardant le soleil se coucher
sur le pacifique : “Comme bureau, il y a pire !” Bien
sûr, il a raison.
Dimanche 11 Mai
Journée de tournage aérien, au dessus de la forêt.
Les conditions de vol ne sont pas bonnes. Bruno n’est pas content, ni le pilote de son Cessna, qui voudrait faire mieux !
Nous volons tout de même dans
la gorge de Mossman, puis au dessus de la forêt de la Daintree,
puis au dessus de la Daintree River.
L’après midi, tout le monde est épuisé, nous nous délassons dans les chambres et le jacuzzi.
Manu s’est occupé de
nous négocier l’appartement au dernier étage, et
nous déménageons de suite !!!! Hallucination :
grand appart de 200 m carrés, avec un immense salon, trois
salles de bain, une immense terrasse, avec un jacuzzi incrustré
dans une estrade en bois exotique. Un appart de milliardaire !!
Nous y préparons des barbecues en plein air. Le pied intégral…
Nous testons tout de suite le jacuzzi.
Lundi 12 Mai
Cà y est ! Le tournage est
terminé. Ce matin, c’était encore des prises de vue
aériennes au dessus du récif de Ribbons Reef, le long de
la grande barrière de corail. Un temps magnifique, un bon pilote
pour piloter le petit avion qui nous filmait. Des images
spectaculaires. De très beaux plans, vraiment…
Je commence juste à
décompresser. Nous avons déménagé au
dernier étage de la résidence. Nous sommes dans une suite
incroyable. Immense, avec de grandes baies vitrées qui donnent
sur la mer et sur la ville. Avec une grande terrasse, et un jacuzzi
incrusté dans une estrade en bois exotique… De la peine
à y croire… Le cerise sur le gateau… Bruno,
épuisé, dort sur la terrasse en profitant des derniers
rayons du soleil.
Nous allons mettre du temps
à récupérer. Le tournage était très
dense en fait. Vraiment. Un beau tournage. Mais avec une pression forte
sur les épaules, mine de rien. Maintenant, çà va
mieux… J’ai passé mon temps à refaire les
plannings, à dédramatiser des situations, à
gérer l’équipe au mieux… et à tourner
!!
La première semaine sur le
bateau, nous avons eu du mauvais temps. Cà commençait mal
! Beaucoup de vent. Alors la mer était mauvaise. Difficile de
tourner sur le bateau, la visibilité était
dégeulasse, l’avion ne pouvait pas se poser. La
galère… Nous avons quand même eu des bonnes
scènes, au niveau humain.
Puis le reste du tournage,
c’était à Osprey Reef, ce récif coralien
perdu au milieu de l’océan pacifique, à plus de 100
kilomètres de la côte, entouré de 1000
mètres d’eau…
Il y a eu les requins, les survols
du récif avec l’Avion, et les plongées de nuit,
avec cette ambiance extraordinaire des projecteurs qui
éclairaient les fonds.
Les journées ont
été difficiles, car le planning était
serré, vraiment. Bruno s’occupait des prises de vue
sous-marines, alors que je tournais tout ce qui concernait la vie de
l’équipe à bord du bateau. Parfois difficile de
gérer les gens, et de tourner en même temps… Tout
demande un temps plus important sur un bateau, et en même temps,
tout le monde vit ensemble, les uns sur les autres…
Spécial !
L’inertie est parfois
terrible. Et tu es constamment en train de chercher les gens, qui
s’éparpillent aux quatre coins du bateau : salon, cabines,
pont avant, passerelle, pont arrière, plateforme
arrière…
Mais le tournage s’est bien
passé, vraiment. Je suis content de çà.
Stéphane était très détendu, et en
même temps très concentré sur le sujet, trés
attentif. Il a changé en deux ans. C’était
agréable.
Je suis fatigué, mais
j’ai deux jours pour récupérer avant de rentrer. Le
choc sera fort en rentrant. Le décalage est copieux, et le
tournage était tellement dense…
Comment dire ?
Travailler sur un format comme
celui ci n’est pas évident. 90 minutes, c’est un
autre rythme, une autre façon d’aborder les scènes
aussi. Et le tournage sous marin ne simplifie pas les choses. Par
exemple, pour la plongée de nuit, j’avais prévu une
scène complète, assez découpée. Lors de la
première plongée de nuit réservée à
cette scène, nous avons tourné trois plans montés
!!!! Seulement !!!! 40 minutes de plongée pour trois
plans. La fatigue qui va avec. Les plongées qui
s’accumulent. Bruno était épuisé
complétement, alors je faisais attention aussi. Pas simple.
Mais voilà, c’est fini. Il faut se laisser aller. Décompresser. C’est le bon endroit ici.
Pourtant, j’ai
déjà envie de monter le film… Tant mieux, parce
que çà va être un gros boulot !!
Les deux jours qui restent, je vais
en profiter pour boucler au maximum le film ici. Je veux dire
qu’il faut penser le film à chaud, avec la mémoire
de ce que nous avons tourné. Comme çà je rentrerai
l’esprit libre. C’est pas plus mal.
Souvent, quand je rentre, je suis
tellement encore dans les histoires qu’il ne m’est pas
facile de changer instantanément de vie. Ce n’est pas si
simple. J’ai besoin de décompresser totalement, et en fait
je repars trop vite derrière, souvent.
Mardi 13 Mai
Nous filons à Port Douglas, pour aller voir le magazin d’antiquaire.
Le soir, nous avons loué une sono, et nous organisons un barbecue sur la terrasse.
Mercredi 14 Mai
Le beau temps régulier s’est installé sur
Cairns… Il aurait pu arriver un peu plus tôt ! Le vent a
tourné au sud ouest, et apporte de l’air sec mais plus
froid, en provenance des hautes pressions du sud de l’Australie.
A l’intérieur, dans les déserts, il fait
très froid la nuit. Ici, c’est toujours le climat tropical
à la bonne température.
Hier nous avons glandé, fait
quelques courses. Je suis retourné à Port Douglas, avec
Stéphane, pour vooir ce magazin d’antiquités que
nous avions repéré l’autre jour. Il y avait des
meubles superbes, dont une magnifique banquette javanaise.
Hier soir, nous avons
organisé une petite fête sur la terrasse de notre
appartement, qui domine toute la baie de Cairns… C’est
vraiment un appartement de milliardaire. Mais les gérants de
l’immeuble sont très sympa, ils ont fait une
réduction terrible à la prod, et comme nous ne sommes pas
en pleine saison touristique, c’était possible de nous le
louer. La fête était très sympa, nous avions
invité les gens du tournage, Peyron était excité
comme une puce, nous avions loué une petite sono, et on dansait
sous les étoiles ! Cà m’a donné envie
d’organiser des fêtes en plein air cet
été…
Ce matin, je suis le seul
levé. Tout le monde est crevé il faut dire. Le rythme
était tellement dense sur le bateau qu’il faut une
décompression terrible. Nous n’avons tout simplement plus
d’énergie.
Aujourd’hui, il faut que je
trouve des cartes marines pour l’émission, et j’ai
encore des courses à faire. Je compte aussi glander pas mal !
Demain nous reprenons l’avion, et je serai Vendredi soir à Die !
J’ai hâte de retrouver
les repères de cette vie dioise que j’aime bien. Les amis,
les discussions qui m’ont manqué, les projets à
très court terme. J’ai besoin de cette vie facile en fait.
Marre d’organiser des plannings, marre d’avoir à
gérer des tas de gens avec chacun leur caractère, leurs
humeurs, leurs soucis…
En fait, je crois que je m’en
sors pas mal du tout. Et j’aime bien organiser d’ailleurs.
Tout le monde ici a apprécié le tournage. J’ai eu
des félicitations de toute l’équipe,
individuellement. Même le photographe (Philippe Bourseiller, qui
était au Groënland en 89), qui est d’habitude
toujours un peu taciturne.
Bruno a beaucoup
apprécié l’organisation, le fait que je savais
où on allait vraiment. Stéphane s’est senti
très libre d’être ce qu’il doit être
dans l’émission, au lieu d’avoir le souci de
réalisation dans un coin de la tête. Il sait que je suis
attentif, que je surveille, et il aime cela. Il sait que tout est
anticipé au maximum. Quand il pense à un paramètre
et qu’il m’en parle, je l’ai déjà
intégré et j’ai déjà
réglé le problème. C’est vrai que
c’est confortable. En même temps, il apprécie notre
sensibilité au niveau du tournage, et le fait que je tourne
toutes les scènes “live”, sans raccords a
posteriori, sans plans de coupe. Tout est découpé pendant
le tournage.
Cà lui change des
réalisateurs qui demandent de tourner des plans de montée
au moment de la descente, ou autre choses… Il a envie de vivre
les choses, et n’aime pas être bloqué par ces
contraintes là. Je le comprends, moi non plus je n’aime
pas çà.
Nous avons tourné
près de 50 cassettes béta (plus les images sous-marines
en DV), et je n’ai rien “refait”.
Changement de sujet ! Le tournage est terminé !!!
Hier, je pensais à des
moments très simples de ma vie dans le Diois. Ces moments du
matin en été par exemple. Quand je me lève avant
toi, et que je vais chercher un pain frais. L’air est
transparent, un peu frais, il y a les habitués du matin, je
n’en fait pas partie, mais justement, j’adore ces moments
là, je ne sais pas pourquoi… J’ai hâte de
rentrer aussi parce que j’ai besoin de ces repères
là.
J’ai besoin de ces ballades
sur les plateaux, dans ce monde que je connais plus que tout. Je veux
dire les grandes étendues de pelouses, les lapiaz blanchis par
le soleil, les pins à crochets tordus par le vent. Pour les
avoir parcourus en toutes saisons, je ne sais pas encore choisir quelle
est la plus belle, mais l’été a ce
côté “facile”. Un short, un brave t-shirt, une
polaire et une mauvaise gourde, et c’est parti.
J’ai passé des
journées entières là haut, et cela me plait
toujours. Je veux dire que je ne suis pas attaché à
l’image d’une époque révolue. Non.
C’est plutôt la sensation que çà fait partie
de moi profondément, et aussi l’impression qu’il y a
toujours du nouveau. Les reflets du soleil sur les pelouses,
l’arrivée du brouillard qui se déchire sur les
barres rocheuses, les falaises qui plongent vers les vallées,
ces lumières du petit matin dans les sous bois…
Par exemple, je garde la sensation
très précise de ce vent frais qui siffle dans les pins,
quand on est blotti entre deux racines, à regarder les fourmis
qui dansent sur le rocher. Ou le soleil qui écrase les fissures
du lapiaz. Et ces gouffres sombres entourés de mousse.
Ces endroits qui sont magiques pour
moi peuvent être tour à tour paradis ou enfer. Il fait
beau, et tout à coup, tout bascule.
L’orage arrive. On se
réfugie dans une petite cabane où on n'arrive pas
à faire du feu… Il fait froid. Mais c'est beau !
C'est humide, on dort mal…
Le lendemain, on marche la tête engourdie, mais
libérés de quelque chose en même temps.
Il faut de temps en temps savoir
vivre de peu. Cela resitue les choses. Pendant un certain temps, une
forme d’ascètisme procure une
“légéreté” bénéfique.
C’est un peu ce que
j’admire chez les peuples du désert. Ils n’ont rien,
et en même temps ils ont tout. Chaque chose qu’ils portent
leur est utile. Quant à nous, nous sommes encombrés
d’un fatras d’équipements et de gadjets. Je sais que
c’est bizarre que ce soit moi qui dise cela, mais c’est
vrai. Moi qui accumule tant de choses.
Je sais pourtant que
l’abondance aveugle. Le matériel étouffe le
spirituel. C’est vrai. Nous accumulons des pièces, des
objets. Ce sont seulement des repères, des traces pour nos
souvenirs. Mais ce qui reste au fond, ce sont les émotions
vécues, les sentiments d’amour, les idées, les
concepts. Qu’est ce qui réchappe d’un incendie ? Les
idées. L’homme se retrouve nu dans la rue, et en
même temps porteur d’une richesse incroyable. Tout, et
seulement : ce qu’il a en lui. Rien de très nouveau, mais
des choses qu’il faut rappeler régulièrement.
Je suis au bout du monde, et
l’esprit serein. La tête pleine de souvenirs.
D’idées qui vagabondent. Je sais tous ceux qui sont
partis. Je sais la fragilité de la vie. Une fois encore, je suis
passé au travers. La vie mérite vraiment
d’être vécue.
Hier soir, je regardais la croix du
sud qui jouait à cache cache avec les nuages.
C’était la fin de la soirée. Il y avait cette
musique de Vangelis (qui plane sur la dernière scène de
Blade Runer), et tout était simple. Le saxophone paraissait
résonner dans toute la baie illuminée par les
lumières de Cairns. On aurait dit une sorte de spectacle son et
lumière géant. Les deux skytracers du casino montaient
jusqu’aux nuages. On voyait Mars…
Quelqu’un me demandait depuis
combien de temps je faisais ce métier. Je répondais
quinze ans… Ce n’est pas rien…
J’ai besoin parfois de faire
le point. De faire ressurgir ce que j’ai en moi pour le
digérer. Sinon, çà reste comme une pile de
dossiers sur un bureau. En attente. Pas très bon…
Alors c’est pour cela que
j’essaye d’écrire. Organiser un peu ces souvenirs.
Comme une trace, le fil conducteur d’une vie. Un livre qui
raconterait mes histoires. Un livre dont je prends plaisir à
feuilleter les pages. Pas un roman qu’on lit du début
à la fin. Plutôt un essai, un carnet de voyages. Une
cartographie des chemins et des routes. Toutes ces roulottes, tous ces
gens qui me sourient, qui sont rentrés dans ma vie à un
moment donné. Des images qui restent à jamais. Des notes,
des dessins, des photos aussi. Comme ce gros carnet à spirale
qu’on emporte et sur lequel on griffonne quelques notes sans
intérêt, mais qui vous relancent à fond dans
l’histoire quand on les relit quelques années plus tard.
J’en conserve quelques uns comme çà dans le bureau.
Des traces.
Amusantes ou émouvantes. Parfois rassurantes.
Mais toujours éphémères, car on peut disparaître du jour au lendemain.
=:-)