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Epilogue provisoire
La montagne intérieure
La Mercèdes déboule à 160 sur l'autoroute. Il est
17H30, nous zigzaguons entre les files de voitures…
- "Tu vois, la vie, c'est comme une montagne…"
Jeanne MOREAU lâche ses mots de sa voix rauque.
Nous l'avons suivi pendant une semaine, lors de son retour au festival
de Cannes. Plus de dix ans s'étaient écoulés avant
ce come back. Nous la raccompagnons maintenant à
l'aéroport de Nice. Calé à l'envers à la
place passager, je filme Jeanne. Un grand moment d'émotion.
- "Tu peux réussir, tu arrives au sommet, puis un jour, cela redescend. Mais ce n'est pas le plus important…"
Jeanne pèse ses mots, se délecte. Elle est cool. Elle vient d'être acclamée au festival.
Le chauffeur de la limousine, impassible, talonne de trop près
à mon goût la voiture qui nous précède. Je
commence à transpirer à grosses gouttes. Il aurait fallu
que j'enlève mon gilet pour être parfaitement à
l'aise à ce moment là. Mais parfois, on choisit pas.
- "Il y a une deuxième montagne… dont tu ne peux atteindre le sommet…"
Nous entrons dans une série de grandes courbes, le revêtement de l'autoroute n'est pas aussi bon.
Je cale mon pied dans le cendrier. Cela va me permettre de
m'équilibrer mieux, et d'aller chercher un gros plan du visage.
Ainsi d'éviter le trop fort contre jour du soleil qui perce. Pas
trop gros plan non plus, car le visage….
Le moment est décisif. Pas le moment de rater l'image.
- "…la deuxième
montagne, c'est la montagne intérieure. Celle que tu dois
chercher à l'intérieur de toi même."
Vingt dieux, j'ai le plan, je crois que ça ne bouge pas trop !
C'est toujours un compromis… Coup d'oeil à Jean Marie,
atomisé à côté de Jeanne. Coup d'oeil
à Jean Pierre, qui assure le son.
Oui, elle a raison, Jeanne. Nous sommes toujours sur le fil du rasoir.
Que retenir de ces années passées à courir le monde ?
Faut il d'ailleurs retenir quelque chose ?
Le problème, c'est que de toute façon, on n'a pas le choix.
Une autre star - Emmanuelle Béart - disait une chose toute
simple, qui peut paraître un peu conne de prime abord, mais qui
en fait est très juste, n'en déplaise aux grincheux :
"Quand on a ouvert les yeux, on ne peut plus les refermer…".
C'est vrai.
Et là où Jeanne a particulièrement raison, c'est
au sujet de cette deuxième montagne, cette montagne
intérieure.
Tous les sentiers du monde sont bien sûrs prétexte
à une véritable exploration intérieure, de la
seule contrée non encore cartographiée. Sorte de zone
blanche.
Sacs à dos rangés au grenier, caméra posée
chez le loueur, à poil - presque - nous sommes conviés
à cet agréable voyage : le voyage de l'exploration
intérieure.
L'incertitude et la complexité
"Pendant l'action, l'esprit se repose…" disait Confucius. T'as raison, mon gars…
Partir, c'est mourir beaucoup. Le spectacle du monde est un vertige à celui qui sait lire et décoder les messages.
Et pourtant :
"Rien ne vaut le moment où vous quittez la route pour vous
diriger vers un lieu inconnu de votre région" dit Gary Snyder
dans son livre "La pratique sauvage". "On ne fait pas cela par soif de
nouveauté, mais pour retrouver le sens des liens à
l'environnement tout entier. Cette "sortie des sentiers balisés"
est une autre façon de nommer la Voie; c'est le vagabondage en
dehors des pistes qui constitue la pratique sauvage. Et c'est
également là que, paradoxalement, s'effectue le meilleur
travail. Toutefois, nous avons besoin de chemins et de pistes, et nous
ne cesserons jamais de les entretenir. Il faut d'abord être sur
le chemin avant d'être capable de le quitter pour entrer dans
l'espace sauvage."
C'est dans ces moments là aussi où on se retrouve face
à soi même. J'ai alors l'impression de trouver en moi une
force incroyable. Une sorte de voix intérieure. Je pense tout
fort. Je pourrais presque parler à voix haute dans la montagne.
Cette voix, c'est moi, mais du dedans. Pas seulement les incessantes
questions qui travaillent l'esprit. Mais aussi une série
d'évidences qui s'impose progressivement à moi. Je laisse
glisser le temps. Je respire fort, je prends conscience de toutes les
choses qui m'entourent, et petit à petit, le calme revient. Un
calme intérieur. Très profond. Très "puissant". Ce
sont en fait aussi des techniques et procédés du yoga. La
prise de conscience du monde… Je crois que cela m'aide aussi
beaucoup dans mon travail. Une prise de distance, un recul terrible.
C'est aussi l'histoire du spectre large. C'est une technique qui ouvre
l'esprit de manière incroyable, mais qui est en même temps
parfois un peu déroutante, car elle emmène loin. En fait,
ce n'est pas un technique, c'est une évidence, une
manière de voir et percevoir les choses et le monde en
général. Il faut juste ne pas avoir peur de cette
approche à ce moment là. Assumer cela pleinement. Je
pense à moi en ce moment, là au présent, et aussi
à l'humanité toute entière dans le futur…
Alors, bien sûr, c'est une sorte de vertige, mais cela met en
même temps tout en perspective.
C'est ce genre de choses que je veux faire partager aux gens que je
rencontre. La beauté du monde. La largeur du spectre est
déstabilisante. Il est difficile de trouver cet
équilibre… Devenir un spécialiste, c’est
tellement rassurant… Assumer la complexité, c’est
renoncer à la facilité. La vraie question, c’est
d’être "là".
Quand je redescends dans la vallée, j'ai une sorte de
sérénité. Je crois que plein de gens ressentent
cela, mais ne l'expriment pas. C'est ce qu'apporte la nature. Parfois
des situations très simples parviennent à te faire rentrer dans cet état d'esprit, dans cette "supra conscience".
C'est sûr, il y a des jours
où l'incertitude est un fardeau. Elle est pourtant la
rançon de notre liberté. Où vais je ? A quoi tout
cela sert-il ? Bien sûr la vie n'a pas de sens. Il faut seulement
s'accommoder de cette incertitude. Et quand tu comprends cela, tu
commences à être tellement fort ! Tu peux courir dans les
montagnes pendant des heures ! Tu peux regarder quelqu'un droit dans
les yeux et partager ces incroyables moments de bonheur. Fragiles,
parce qu'uniques ! Plus que jamais, il nous faut être capable de
partager le présent. Pas en s'enfermant dans des attitudes trop
égoïstes. Plutôt en aimant, et en sachant donner.
Vivre fort. Vivre vite ! On réalise toujours quand ils
disparaissent comment nos proches étaient importants dans notre
vie. Je veux dire qu'on ne dit jamais assez à ceux qu'on aime
qu'on les aime…
=:-)