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Exploration Attitude
Je dois avoir dans les dix ans. Mes parents sont venus dire
d'éteindre deux fois déjà. Caché au fond de
mon lit - une lampe de poche à la main - j'ai ouvert mon atlas,
comme presque tous les soirs. Direction l'Amazonie. Manaus. Cette ville
me fascine. J'en ai vu quelques photos. J'imagine les lanchas,
alignées sur le port, prêtes à remonter le fleuve
vers le Pérou, ou à se laisser glisser vers Belem.
Il y a ce long fleuve, justement, qui roule, là, d'une puissance qui défie le temps.
Alors je suis parti.
Allongé dans le hamac, je regarde glisser les berges, jacasser
les bestioles. J'observe les remous, et le capitaine à sa barre,
le cuisto à l'arrière, et tous ces passagers…
J'ai quitté Manaus depuis longtemps, j'arrive maintenant
à Iquitos. Ce carrefour-frontière de trois pays, qui
m'intrigue. Cette foule cosmopolite, là, sur le
débarcadère. Et puis plus loin, dans la forêt, les
tribus indiennes.
Me voici marchand, ou simple "explorateur"…
Je suis reparti vers l'amont. Affrêté une barcasse, puis
une pirogue. Il me faut remonter tous ces affluents, un à un,
explorer les moindres recoins.
Voici une série de méandres. La boussole indique le sud.
C'est le bon azimut. Droit vers ces zones vertes immenses. Au coeur du
Brésil encore "inexploré" ! Un coup d'oeil sur la rive
droite, ce léger mamelon, avec un point côté
à 150 mètres…il doit y avoir un rapide ici. Il va
peut être falloir débarquer, pousser la pirogue avec mes
amis, puis embarquer à nouveau, en amont des difficultés,
pour continuer à avancer. Depuis longtemps, les derniers signes
géographiques apparents d'occupation humaine - en tous cas ceux
mentionnées sur ma carte - ont disparu. Pourtant il doit y avoir
du monde, encore, par ici…
Dans le détour d'un bras de rivière, au petit matin, je
vais bien rencontrer quelques indiens !?!! Que font ils là ? De
quoi vivent - ils ici, dans ce trou perdu ? Par quel miracle ont ils
réussi à fonder leur famille sur ce petit bout de terre,
dans le virage du méandre, et comment font ils pour rire aux
éclats ainsi ?
Ethnologue débutant, explorateur en herbe, je grille ainsi mes
soirées de pré-adolescence, bloqué sur cet atlas
géographique.
Les années ont passé.
L'eau a coulé sous les ponts.
Les fleuves racontent l'histoire des hommes, en même temps qu'ils invitent à une certaine humilité.
Les muscles endurcis par mille expériences aux quatre coins du
globe, je pourrais me poser, contre un mur, au sud, et profiter de ces
rayons du soleil qui font se bonifier les vieux.
Et pourtant…
Aujourd'hui, même s'il reste pourtant quelques espaces vierges,
les zones blanches - les espaces vierges - ont disparu. La vraie
exploration est rare. (J'en sais quelque chose, pour l'avoir
"pratiquée", au fond des gouffres et des glaciers par exemple).
Et les discours sur l'aventure trop souvent encombrés et
pervertis par d'autres enjeux (égo, fric, etc…).
Bien sûr, partout, nous sommes précédés par
des missionnaires, des marchands, des chercheurs d'or ou de
pétrole, des botanistes, géographes, ou simples vagabonds.
A l'heure de Google Earth (encore quelques nuits entières avec
les yeux qui piquent, à vérifier quelques lieux, quelques
installations !), de la banalisation de l'imagerie satellitaire, des
"explos-sur-blog-en-direct-live", les hommes ont bâché
l'affaire. Terminé. Tout est connu, répertorié,
fiché, exploré.
Alors, touristes d'un jour, ou professionnels sponsorisés, nous nous la rejouons. Cette belle fable de l'aventure.
Bardés d'ethnocentrisme, farcis de Tintin ou de JulesVerne, nous
revisitons les mêmes endroits, nous suivons un peu bêtement
les traces de nos prédécesseurs.
"Sur les traces de…", "Sur la route de…". Comme s'il nous
fallait revisiter sans cesse les mêmes endroits, pour bien
vérifier que tout dégringole.
Dommage.
En fait, nous perdons du temps à agir de la sorte.
Le nouveau siècle qui s'ouvre nous convie pourtant à une
exploration autrement plus excitante. Un sacré challenge !
Il nous faut lâcher nos désirs de conquêtes. Casser
ce rapport dominant - dominé. Adopter une nouvelle posture. Le
nouveau défi, c'est bien sûr d'aller vers les autres.
Vraiment. Cette posture est valable dans beaucoup de domaines. C'est
même notre seule issue viable à long terme.
=:-)