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Habiter la terre… Chine ! - Qikou

Voyage en Chine
Septembre - Octobre 2007


Qikou


Vendredi 5 Octobre

8h00.
La pluie sur Taiyuan. Un minivan buick, intérieur simili cuir beige. Mr Li, le chauffeur. A ce moment là, il ne sait bien sûr pas encore ce qui l'attend sur les deux prochains jours… Sinon il n'aurait peut être pas engagé sa voiture dans cette aventure.

L'objectif, c'est Qikou, un village au bord du fleuve jaune. D'abord trois heures d'autoroute sous la pluie. Beaucoup de camions. Chacun s'est enfermé dans son petit univers perso. iPod, ordinateur, rêveries. Le paysage pluvieux défile. La pluie, le brouillard, la pollution.
Ici, un camion désarticulé bloque la circulation, il a dérapé, et s'est encastré dans la barrière centrale… Plus loin il y a des sortes de barrages temporaires, pour cause de travaux, non signalés. D'immenses usines émergent tout à coup du brouillard. Au bout de trois heures de route, une éclaircie permet d'apercevoir un peu le paysage. On commence à voir quelques maisons troglodytes, au milieu d'un paysage industriel. Puis la vallée replonge dans le brouillard.

Nous arrivons à Luyiang. La ville est un bourbier sans nom. C'est la Chine industrielle, sale, triste, déglinguée, bordélique.
Après une pause repas, on a repris la route, qui emprunte cette fois ci une petite vallée. En reprenant de l'altitude, le brouillard devient plus épais. Et cette apparition étrange : une famille entière à l'arrière d'un triporteur, les cheveux collés par la pluie, protégés par un grand plastique transparent. Tous habillés en rouge, sur le fond gris du brouillard. Visibilité à 30 mètres. Tunnel sans lumière. De l'autre côté, on redescend dans une vallée agricole, avec des cultures en terrasse. Il a beaucoup plus ces derniers jours. Des blocs de plusieurs tonnes ont glissé sur la route. Parfois une partie de la route a disparu, emportée dans le ravin par l'eau.

Le paysage, c'est un immense plateau de sédiments emportés par le fleuve jaune au cours des millénaires, charriés depuis les hauts plateaux du Xinkiang, depuis l'Himalaya, et le Tianshan - les montagnes célestes - là bas, à plus de 1000 kilomètres. Puis, au cours de siècles, le fleuve jaune s'est enfoncé dans ce loess. Les affluents au cours tortueux ont taillé un paysage de ravins. Les habitants ont aménagé au fil des siècles des terrasses pour garder la terre cultivable, et l'exploiter. Traditionnellement, beaucoup d'argile. Villages de potiers.

Mais la nouvelle ressource, ici, tient en un mot qu'on associe immédiatement à une couleur : le charbon. La Chine est devenue grand consommateur de ce minerai, l'essentiel de la production électrique étant fournie par des centrales thermiques fonctionnant au charbon. Elle ne peut subvenir à ses besoins, elle est obligée d'en importer. Il y a file d'attente - parfois pendant plusieurs semaines ! - pour les barges géantes pleines de charbon, venues d'Australie, qui poireautent à l'entrée des ports en construction, sous dimensionnés pour accueillir ce nouveau trafic. Un marché d'ailleurs juteux pour les transporteurs maritimes. Ceux qui ont failli tout lâché il y a dix ans ont accumulé des fortunes fabuleuses aujourd'hui.

Quant à la production intérieure, c'est la course contre la montre, il faut fournir ! On a pas le temps d'aménager le reste, il faut du minerai, vite, pour fabriquer l'énergie. Le paysage, ici, est dévasté par cette exploitation. Les forages sont partout. Parfois au sommet des collines. Souvent dans les moindres méandres des petits vallons. Jusque dans les bancs de sable du fleuve jaune, profitant des saisons d'étiage, entre deux montées des eaux, en tentant de protéger les installations minières avec des digues en cailloux rapidement tassés au bulldozer. Pour accéder aux filons, on a taillé des pistes à flanc de collines, en coupant l'écoulement naturel des eaux. On n'a pas le temps de consolider les routes, de construire des drains. A la moindre pluie un peu forte, l'eau traverse les pistes, ravine les moindres parties plates, parking, zones de transfert du minerai, routes, fait s'écrouler les habitations en brique des ouvriers hâtivement bâties n'importe où, creuse les routes, déstabilise des pans entiers de collines qui basculent plus bas. Les tonnes de boue liquide emportent plus bas encore d'autres chemins, et filent dans le fleuve jaune. Quand le fleuve ralentit sa course, en aval de ces gorges qui durent sur plusieurs centaines de kilomètres, il dépose ces sédiments dans sa partie aval, et ceci jusque dans la mer de Chine. En quelques décennies, le cours du fleuve s'est encombré de sable. On essaye de draguer. En vain. Un chantier titanesque. Puis les grosses eaux déboulent à nouveau. Le fleuve déborde. On est en train de déplacer des milliers de gens, là bas, dans les plaines, menacés d'inondations. Les dégâts sont colossaux.

Une double menace en fait. Quand il ne sont pas inondés, les habitants souffrent de désertification. Désertification dont les causes sont aussi à chercher depuis quelques années du côté du dérèglement climatique. Les tempêtes de sable qui soufflent à l'ouest et au nord se font sentir jusque dans les grandes villes. A Pékin, où il y a quelques mois une tempête a recouvert la métropole d'une couche de poussière, avec une visibilité de quelques mètres, et aussi jusqu'en Corée, et même au Japon.
D'un autre côté, la consommation d'eau des provinces de l'ouest a considérablement augmenté. Le gouvernement a favorisé l'implantation de nouveaux habitants. Le mot d'ordre c'était "A l'assaut de l'Ouest !". Des villes nouvelles ont été bâties en plein désert. Il faut de l'eau pour l'agriculture, pour les habitations, pour les fontaines… Parfois le fleuve jaune manque d'eau. Ces dernières années, le fleuve jaune s'est même retrouvé complètement à sec à l'embouchure. Le fleuve nourricier de la moitié du pays s'est transformé en quelques décennies en mince filet d'eau quand il rejoint la mer. Mais ce n'est pas tout. Je ne parle pas de ce qu'il transporte, effluents industriels, déchets, pesticides, pollutions de toute sorte. Le fleuve jaune est aujourd'hui un véritable dépotoir.

Arrivée à Qikou, bourgade au bord du fleuve. On ne voit rien de tout cela ici. Un village presque intact. Juste une auberge, sur la rive du fleuve, où nous posons nos sacs.
Qikou était une étape importante sur l'ancienne route de la soie. La partie supérieure du fleuve est navigable, mais en aval de Qikou il y a des rapides dangereux, et là bas - à une centaine de kilomètres - les cascades de Hukou, totalement infranchissables. Alors Qikou c'était là où on débarquait toutes les marchandises des bateaux, ensuite acheminées par voie terrestre jusqu'aux villes de l'Est de l'empire. Huile, sel, fourrures d'asie centrale repartaient en charrettes. Ce vrai carrefour a été ainsi un vrai centre commercial de redistribution des richesses, un point stratégique.

Aujourd'hui Qikou est une bourgade paisible, dominée par le temple du dragon noir, "personnalité" locale. En fond de vallée, cultures de tournesol, piments, choux. Quelques mûriers aussi, pour les vers à soie. Une agriculture d'autosuffisance. Mais la principale ressource, ici, sur les hauteurs, c'est le jujubier.
Sur les conseils d'une dame qui maintenant nous accompagne, nous avons acheté des bottes à Qikou. J'ai aussi acheté un parapluie, car la pluie menace de nouveau. En suivant le fleuve en aval, au bout de quelques kilomètres, on peut prendre un chemin qui monte entre les terrasses et les petites habitations en brique triste de la chine de Mao. Une petite demi heure de marche à pied pour atteindre le village de Lijiashan. Un chemin en terre épouse les formes des ravins. De partout l'eau dégringole en petits ruisseaux qui viennent raviner les chemins et les terrasses. D'habitude, le climat est plutôt sec. Ces pluies denses sont une vraie calamité pour les habitants. Le sentier monte en zigzag entre les terrasses et les chemins d'accès aux habitations. Un chien aboie pour signaler notre présence. On entend les villageois qui discutent, d'un côté à l'autre du vallon.

Les maisons sont disposées dans une sorte d'amphithèâtre naturel. En bas du village, un petit temple. Au sommet du village, une des maisons les mieux conservées, c'est celle de la famille de Mr Li. Mr Li a 47 ans. Il vit ici depuis toujours, avec sa belle fille et son petit fils. Agriculteur. Port de tête solide, des yeux malicieux. Mr Li marche un peu en canard dans ses bottes usées.

La maison familiale est grande. Deux étages de pièces en voûte sont creusés dans la colline. En bas, une cour carrée, avec la meule en pierre lourde pour écraser le grain. En haut, un grand balcon qui longe les pièces d'habitation. Une architecture qui tentait d'empiéter le moins possible sur les terres cultivables. A la bonne hauteur. Au dessus du fleuve pour échapper aux inondations, un peu au dessous du rebord du plateau, pour se protéger du vent glacial de l'hiver. Les maisons enterrées, pour profiter d'une bonne inertie thermique (température presque constante toute l'année, - frais pendant l'été, tempéré l'hiver). Les voûtes sont fermées par des claustras en baguettes de bois aux formes recherchées, même si elles sont rustiques. Une des ailes de la cour carrée est un bâtiment réservé aux invités, et aux grandes occasions. La facture est d'encore meilleure qualité. Pierres d'angle sculptées avec délicatesse. Dragons sur les faîtages des tuiles. Claustras sophistiqués. Harmonieux. Magnifique.

Quelques gouttes, à nouveau. Là bas, vers l'ouest, des nuages noirs. Une vieille dame mange son bol de légumes, en regardant les voisins d'en face faire de même, accroupis sur leurs talons, au milieu de quelques poules.

Nous sommes redescendus à Qikou avec la nuit, nous reviendrons demain matin tôt.
Repas au guest house. Mr Li, le chauffeur, (il s'appelle Li lui aussi ! - je vais l'appeler N° 2 !) nous raconte sa vie. Mr Li N°2 a trois femmes, 4 voitures, 6 chiens. "Un bon lapin a trois terriers" dit on en Chine… Mr Li prétend que c'est bon d'avoir une femme, une maîtresse, et une confidente. "C'est vrai, regardez un tabouret à trois pieds, ce n'est jamais bancal !". Notion chinoise de l'équilibre…
Puis s'ensuit une longue discussion sur le "romantisme". Tentative de comparaison entre le romantisme version française et version chinoise.
Une "Tsingtao" - et pour Mr Li un alcool fort régional - aidant à délier les langues s'ensuit une discussion sur la guerre sino-vietnamienne. Mr Li raconte qu'à 19 ans il est parti de chez lui, au nord du pays, vers une destination inconnue. Il était canonnier. Pendant 7 ans, il a combattu pour l'armée chinoise, au coeur d'un conflit dont on parle assez peu en Europe, éclipsé par la version américaine de la guerre du Vietnam. Même aujourd'hui la Chine ne dévoile pas tout de ce conflit qui aura duré 10 ans, de 1979 à 1989. Mr Li a vu disparaître la plupart de ses collègues. Les premiers mois, il ne savait même pas contre qui il se battait, ni où il se trouvait. 600 000 soldats "officiellement", côté chinois, certainement plus d'un million en fait. Mr Li a beaucoup souffert. Dans deux ans, il s'arrête de travailler. Il a le droit de profiter des plaisirs de la vie, maintenant, non ?

Dehors, il a recommencé à pleuvoir. On entend, à travers les épaisses portes en bois de la cour de l'auberge, le grondement du fleuve qui roule ses hautes eaux.


Samedi 6 Octobre

Il a plu toute la nuit. Il pleut depuis 10 jours sans discontinuer, dans la région. Le Fleuve jaune est en crue.
Le fleuve jaune… C'est par ici que le bouddhisme s'est répandue en Chine. Venu de l'Inde, traversant le Tibet, il s'est propagé dans le pays en suivant les routes du commerce de l'époque. Le fleuve jaune, une importante voie culturelle, historique, qui a structuré toute la Chine ancienne.

A Lijiashan, Mr Li (N° 1 !) est avec son petit fils dans les bras, sur son balcon. Sa fille s'active déjà dans la minuscule cuisine. Nous prenons le petit déjeuner tous ensemble, sur cette table ronde à la toile cirée. Il faut faire du bruit, quand on mange, en Chine. Pour dire qu'on se régale. Mon grand père savait faire çà, je me souviens de lui en train de manger sa soupe. Moi je n'y arrive pas très bien. Le seul moyen c'est d'avaler rapidement ces grandes nouilles, mais elles remontent en virevoltant dans tous les sens, tâchant de sauce tout ce qu'elles rencontrent en route !

Nous sommes partis aux champs. J'ai pris le parapluie, et je donne la main à Zhe, dont les bottes rouges en plastiques patinent sur le sentier raide. J'ai pris un modèle en caoutchouc, beaucoup plus adhérent… Hé hé… Glissades, rigolades.
Nous montons dans un petit chemin qui se faufile entre les terrasses. En haut, nous ramassons des haricots. Le vent s'est levé en rafales. Il pleut. Plus loin, nous arrivons sur une série de terrasses qui domine le fleuve jaune. Avec la pluie et le vent, les jujubes sont tombées au sol avant de pouvoir être ramassées. Elles vont pourrir très vite. Impossible de les transporter pour les vendre. Tout juste bonnes à la consommation familiale. Une grosse perte pour Mr Li.
Mr Li me raconte tout cela, et aussi la légende du dragon, qui explique la création du village.
Au départ un immense dragon vivait couché dans la vallée, le long du fleuve. Il vivait dans les bancs de sable. Un jour, il accoucha d'une bête si horrible que les habitants eurent peur : ils tuèrent le bébé dragon. Le soir même une immense inondation balaya le village. Alors les habitants comprirent tout à coup. Cette inondation était un présage, le signe que la terre était fertile, puisque le dragon avait mis bas ici même. Qu'on pouvait donc s'y installer. Mais qu'il fallait prendre soin du fleuve, le respecter. Ils construirent le village sur les hauteurs, et se mirent à cultiver les terrasses.
C'est pas beau çà !?

Redescendus à la maison, Mr Li a convoqué un de ses voisins, maçon à la retraite, pour refaire le four d'une de ses pièces. Ils gâchent ensemble le mortier grossier. Coffrage bricolé avec trois bouts de planches cintrées ajustées à la hachette. La couche de finition sera une sorte de glacis teinté en noir, lissé à la truelle le plus parfaitement possible, puis lustré à l'huile pour le rendre imperméable.
Mr Li nous fait visiter l'endroit où il dort. Une salle en voûte, à moitié creusée dans le loess, qui a une bonne inertie thermique. Le dispositif central, c'est ce four-cheminée, qui sert à cuisiner, et aussi à chauffer la pièce avec un système de conduits sous les grandes banquettes qui servent de lit. Il fait froid ici l'hiver.
Il y a de moins en moins d'habitants à Lijiashan. Les jeunes sont partis dans les villes, chercher du travail. Mr Li aimerait lui aussi habiter une maison plus moderne. Quand je lui demande s'il voudrait habiter ailleurs, par exemple dans une maison plus moderne, il me répond que même dans ses rêves il n'ose pas imaginer cela, car il n'a vraiment pas d'argent pour cela.
Nous avons quitté Mr Li et sa famille. Le four est presque terminé. Nouveau départ. Embrassades joyeuses.
Merci.
Oui, nous reviendrons peut être…

Nous sommes redescendus à Qikou. Le niveau du fleuve a encore grossi. La route que nous avons emprunté hier pour venir s'est effondrée, elle est impraticable. Nous devons trouver un autre chemin. Nous filons le long du fleuve jaune, puis remontons dans une vallée, plus en aval de Qikou. Paysages de terrasses, et toujours ces maisons troglodytes. Nous replongeons ensuite dans la vallée principale. Deux hommes tentent la traversée du fleuve en barque. Je n'ai pas le temps de voir s'ils réussiront. Pour l'instant ils font du sur place au milieu de la veine d'eau.

Le décor change, tout à coup.
Nous entrons dans une ville au décor surréaliste, qui s'est construite, en quelques décennies, au bord du fleuve. Urbanisme totalement anarchique. Une voie rapide en construction est bâtie dans le cours même du fleuve jaune. Elle serpente sur plusieurs kilomètres, avec ses énormes piliers en béton plantés dans les bancs de sable. Les ruraux sont descendus des montagnes, pour venir travailler et vivre au bord de la route. C'est là où toute la vie économique se passe aujourd'hui. Alors tout s'est mélangé. Au plus vite. N'importe comment.

La population cosmopolite est constituée de travailleurs migrants, de ces ruraux fraîchement urbains, de commerçants en tous genres, et de nouveaux riches qui profitent du "socialisme de marché". Tout le monde patauge dans les flaques de boue, entre les rangées de bâtiments rectangulaires recouverts de carrelages blancs salis par la poussière de charbon.
Une mamie tente de traverser la route, ses légumes à la main. D'où vient elle ?
Une berline aux vitres teintées, maculée de boue, se fraye un passe dans le trafic. Qui est à l'intérieur ?
Deux gamines aux tresses soignées semblent rentrer de l'école. Que vont elles faire en rentrant chez elles ?
Un ouvrier sur son scooter - recouvert de plastique pour tenter de le protéger - a gardé son casque de chantier, pour transporter sa femme qui tient trois énormes cartons. Combien gagne t il ?
Un tricycle déplace un ordinateur crasseux. En panne ou juste acheté ?
Sur fond de centrale thermique, de chantiers d'immeubles, de terrains à moitié vague où ont été abandonnés carcasses de camions, véhicules divers et variés, matériaux de construction, biens de consommation hors d'usage. On travaille à la mine voisine ou sur les chantiers, on mange sur des mini-chaises en plastique fluo entre deux énormes tas de pneus de camion, on dort à l'étage de maison à peine terminées, on baise à l'arrière des salons de coiffure transformés en maisons de prostitution.
Presque un film de science fiction. Sauf que là, c'est vrai.
Comment peut on habiter ici ?!?

Nous ne sommes maintenant plus qu'à une vingtaine de kilomètres de Luyiang, mais il nous faudra une heure et demie.
La route devient infernale.
La Chine a besoin de charbon, les forages vont le chercher sur les plus hautes pentes de la vallée du fleuve jaune. Mais aucune infrastructure n'a réellement suivi cette explosion de la demande. Pas de trains, alors on utilise des camions. Des milliers de 38 T à la queue leu leu emportent le précieux minerai vers les zones industrielles. Il y avait une vieille route qui suivait le fleuve, elle a été bétonnée. Avec le gel, il s'est fissuré. La noria de camions a détruit le revêtement. Il reste d'immenses flaques de boue liquide, dans lesquelles il faut chercher son chemin.
Le chaos.
Une file de camions pétaradent, en crachant leur épaisse fumée noire. Les voitures bondissent de flaques en flaques. Tous les véhicules sont maculés de boue. Nous croisons des familles entières tassées sur des scooters, avec les femmes qui lèvent les talons en traversant les flaques. Visages serrés, imperturbables. Là, trois hommes tentent de pousser leur 4 X 4 qui a basculé dans le bas côté de ce qui reste de la route. Ici, ce sont trois gamins aux visages couverts de boue et de charbon qui réparent la roue d'un camion, entre trois files de véhicules qui les éclaboussent. Une grosse berline semble danser sur la route, en tentant d'éviter les pièges. Au milieu de ce bourbier, une voiture de mariage, décorée pour l'occasion, arrive à se faufiler par miracle. Seule tâche rouge au milieu d'une palette bichromique : noir et marron.

Casse croûte à Luyiang, dans le vacarme d'un restaurant populaire où les familles s'entassent le samedi soir pour engloutir un repas rapide.

Il nous reste trois heures d'autoroute pluvieuse, dans le brouillard. Sur la bande d'arrêt d'urgence, des lampes clignotent : ce sont des vendeurs à la sauvette, qui aguichent les clients (des routiers pour la plupart) qui s'arrêtent alors le long de la glissière de sécurité pour faire trois courses ou boire un thé, à la lueur d'une ampoule branchée sur le poteau électrique voisin.
La nuit, on ne fait pas sa route au klaxon, mais aux phares. Plein phares. C'est à celui qui éblouiera le plus. Trois voies. Tout le monde fonce selon ses désirs. On passe de gauche à droite. Tout le monde se double dans tous les sens, en freinant au dernier moment. Mr Li a reçu un texto de sa femme, qui le languit. Alors il a l'accélérateur un peu facile. Je suis obligé de le calmer. De temps en temps le brouillard se dissipe et la route semble un peu plus sèche. Alors il est facile de reprendre un peu de vitesse. De nombreux camions roulent sans phares arrière. Ici, un 38 t a raté une sortie et s'est encastré dans la barrière de sécurité, bloquant derrière lui toute la circulation. Plus loin, une ornière signalée par deux pierres oblige tout le trafic à stopper complètement. Là, c'est un camion garé sur la file de gauche, tous feux éteints. Sur cale. Manque une roue. Images volées à travers la nuit, et la buée des fenêtres, à moitié endormi.

Arrivés à 23h00 à Taiyuan, après plus de 6 heures de trajet épuisant.
Hôtel pourri à côté de l'aéroport. Je bataille dix minutes à la frontale pour trouver comment on allume une mauvaise lampe de chevet recouverte d'une couche de graisse et de poussière de charbon. La baie vitrée ruisselant d'humidité transforme les immenses lampes au sodium de la voie rapide en étoiles qui scintillent quand je m'allonge sur le lit au matelas encore trop dur.
La nuit sera courte. Quelques heures de sommeil seulement : avion à 7h demain matin pour X'ian et ensuite Dunhuang, au nord ouest du pays, entre le désert de Taklamakan et le désert de Gobi.


=:-)



Etape suivante : Mogao

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