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Habiter la terre… Chine ! - On the road
Voyage en Chine
Septembre - Octobre 2007
On the road
Dimanche 23 Septembre
Direction sud, puis sud ouest. Objectif Nanning. L'aéroport qui va nous faire changer de province.
Guangxi > Yunnan.
Mr Deng (le chauffeur) a le pouvoir aujourd'hui. Fichtre ! Ne pas
téléphoner en conduisant est une chose absolument
inconcevable. Comme ne pas doubler quand quelqu'un arrive en face.
Comme ne pas doubler dans les virages sans visibilité. Comme ne
pas franchir la ligne jaune au sommet d'une côte, en doublant au
ralenti.
En fait il suffit d'être confiant. Les solutions se trouvent
à la volée, dans l'énergie du mouvement. Une sorte
de résolution collective des conflits.
Je dors très peu pendant les trajets. Pas pour cette raison,
mais parce que je suis un boulimique des images et des sons.
Curiosité de tous les instants. Sur le qui vive en permanence.
Je voudrais m'arrêter là, dans cette usine à
briques par exemple. Ou, au bord de cette rivière, embarquer sur
ce radeau en bambou, pour aller voir en face ce lopin de canne à
sucre et cette cabane à l'ombre d'un bosquet de bambous. Passer
l'après midi chez le fabriquant de fenêtres, ou la
vendeuse de bananes. Mille détails, partout. Parfois trop.
Les kilomètres passent, et les pensées trottent à
toute vitesse. Ou alors au contraire l'esprit s'englue, jusqu'à
s'assoupir.
Le voyage est une leçon d'humilité. Voyager. Partager. Filmer.
Aussi cette manie du carnet de route… !
Il ne me reste pourtant plus qu'à expérimenter le "non agir".
"Les hommes pourraient vraiment devenir des hommes s'ils se laissaient
aller comme vont les flots à la mer, comme fleurissent les
arbres, à la simple beauté de Tao". Vous avez dit : Lao
Tseu ? Bravo !
Je voudrais toujours raconter la complexité du monde (pas
compliqué, complexe). Ouvrir le champ d'investigation. Titiller
les curiosités. Etre le témoin juste de mon
époque. Simple passeur d'information. Avec le plus
d'honnêteté possible, de respect, le moins de
manipulation. Pas de mise en scène. Recherche permanente de la
fluidité. Se tenir prêt, anticiper pour capter l'instant
crucial, parfois magique. Je voudrais voyager avec le moins d'à
priori possible. Aux antipodes de ceux qui viennent chercher sur le
terrain les images pour illustrer les propos écrits en salle de
rédaction. Une position de puriste, qui s'accorde d'ailleurs
peut être mal avec les exigences de la télévision
d'aujourd'hui.
Ce qui me fascine dans cette histoire d'habitat, ce sont les particularismes locaux.
Comment les hommes se sont adaptés aux contraintes naturelles,
et en même temps comment ils ont, culturellement,
développé des manières bien spécifiques de
vivre ensemble.
Je voudrais aussi sensibiliser aux matériaux, à l'espace, à la lumière, aux sons.
Je voudrais aussi - par exemple ! - raconter la globalisation d'une
certaine forme de construction contemporaine, avec les
éléments préfabriqués et/ou usinés.
Les nouveaux standards de confort. Leur implication sur le mode de vie.
Du collectif à l'individuel. Bien sûr, les
dernières décennies racontent la destruction inexorable
de ces particularismes locaux établis au fil du temps. Cela peut
paraître déprimant. Il faut pourtant l'accepter.
Trente rayons convergent au moyeu
mais c'est le vide médian
qui fait le char.
On façonne l'argile pour en faire des vases
mais c'est du vide interne
que dépend leur usage.
Une maison est percée de portes et de fenêtres,
c'est encore le vide
qui permet l'habitat.
L'être donne des possibilités,
c'est par le Non-Être qu'on les utilise.
Lao tseu. Tao-tö king.
La voie de la sagesse me semble être la voie de la
simplicité. Il faudrait savoir voyager sans aucune exigence, et
sans aucun bagage. En impactant le moins possible. Toucher le monde
avec légèreté. Se reconnecter avec les
éléments. Croire aux courants d'air plutôt
qu'à la climatisation.
Prenez un arbre par exemple. Son ombre. Un arbre, on s'aperçoit
des bienfaits de son ombre quand on l'a coupé. Comme on
s'aperçoit encore plus de l'amour qu'on portait à nos
proches quand ils disparaissent.
Les choses simples. Accepter les choses. C'est une des leçons du
Taoisme, et du bouddhisme. Je sais que çà fait rigoler
certains, qui considèrent toute forme d'orientalisme comme effet
de mode, ou propagande jaune, mais je maintiens…
Autre leçon : se nourrir en chemin.
J'étais fasciné à Bornéo, avec les nomades
punans de la grande forêt, quand nous nous protégions des
averses tropicales sous des feuilles géantes, en allant chasser
les singes à la sarbacane. J'adorais galoper avec les
bédouins jordaniens, armés d'un seul fusil, pour chasser
les chèvres sur les vires du Djebel Rum. Je me régalais
de voir ces nomades tibétains dormir à côté
de leur cheval, au bord de la piste, avec comme seul bagage leur bol
à tsampa roulé dans le revers de leur grand manteau.
Se nourrir en chemin…
Je rêve de voyager avec rien ou presque. Il me semble parfois
qu'il y a deux grandes tendances - manières de voyager / exister
/ vivre : envahir le monde, ou se laisser envahir par lui. Le clivage
entre sédentaires et nomades ? Une sorte de fracture entre
volonté "colonialiste" d'annexer de nouveaux territoires, et
errance du vagabond. Face à face entre volonté de laisser
une trace, et esthétique de la disparition.
Bon…
Trève de philosophie.
Entre temps, on est arrivés à Nanning, voyez vous…
8 heures de route, quand même.
Nanning : 6 millions d'habitants !
Une ville moyenne en Chine, commes des dizaines d'autres. Mr Deng s'est
arrêté à l'entrée de la ville. Il n'est
jamais venu ici (comme d'ailleurs c'était la première
fois qu'il allait chez les Dong), alors il laisse le volant à un
"local", qui va nous guider jusqu'au centre ville. L'avenue principale,
c'est un défilé d'immeubles tous plus modernes les uns
que les autres. De chaque côté, des rafales de
bâtiments tous neufs. Nanning, c'est la ville des réunions
de l'ASEAN, alors le gouvernement construit la ville nouvelle. On rase,
et on reconstruit. Une vitrine de la chine moderne.
Hôtel le long de l'avenue. Nous négocions la chambre
à 19 euros ! Cette fois ci, le lit fait quatre mètres de
large… La cloison de la salle de bain est totalement
transparente, on peut voir la ville en se douchant, par la baie
vitrée.
Nous remercions Mr Deng. Il reviendra, paniqué, frapper à
la porte : il était coincé dans l'ascenseur, ne sachant
pas comment il fonctionne.
Nous avons indiqué au taxi le marché nocturne.
Nanning by night. Travelling de néons multicolores, et
d'écrans géants. Le brouhaha de la foule épaisse
sur les trottoirs. Je retrouve la Chine des marchés populaires.
La Chine du sud. Etalages de brochettes, de légumes de toutes
sortes, de viandes, de poissons, de fruits de mer. Ici on mange de la
murène, ou du sexe de cochon (oui oui c'est "en tire bouchon",
un peu croquant mais pas mauvais) en déambulant au milieu des
fumées de hottes géantes, évitant les vélos
électriques qui glissent sans bruit dans la foule.
Nous finissons par nous poser à côté d'un vivier
pour crustacés et crabes. Galeries de portraits qui
défile sous le feu des ampoules des boui boui. Les
façades d'immeubles décrépies essayent de se
cacher derrière d'énormes publicités pour la
bière.
En rentrant, les écrans géants de l'avenue principale
diffusent des images kaléidoscopiques, alors qu'on prend des
cours de danse classique sous les gommiers. La foule compacte se presse
aux arrêts de bus.
Je m'écroule sur le matelas trop dur, les yeux qui piquent
à cause de la pollution, les oreilles qui vibrent à cause
du vacarme incessant.
Lundi 24 Septembre
Réveillé par la leçon de morale hurlée par
les hauts parleurs de l'école voisine. Cinq mômes sont mis
au piquets, ils n'ont pas salué les professeurs correctement
hier. Hymne national. Drapeau.
Nous quittons Nanning sous la pluie.
Vol Nanning > Kunming.
Je suis assis à côté d'une mamie toute ridée
qui prend l'avion pour la première fois. Son mari, au chapeau en
feutre, est dans le même cas, mais il assure la couverture
vidéo de l'évènement sur son camescope à
enregistrement direct sur disque dur. Enormes sourires qui
découvrent des dents jaunies et attaquées par le tabac.
Allez, allez, il faut s'asseoir. Oui, boucler les ceintures.
Je sombre dans un sommeil réparateur, pour essayer de rattraper
les heures perdues cette nuit, à tourner en rond dans cet
immense lit rectangulaire, réveillé toutes les cinq
minutes par les alarmes des portes des chambres voisines, qui se
déclenchent si vous n'insérez pas la clé-carte
dans les 3,5 secondes, et ce couple, dans la chambre à
côté, qui braille en chinois après avoir fait
l'amour.
Tenez, vous savez, chez nous, on naît dans les choux. Eh ben la
maman de Zhe lui a appris que les enfants naissaient dans les
poubelles… Je vous jure. Sympa l'éducation sexuelle ici !
Alors les chinois se rattrapent, on découvre les derniers
gadgets. Galerie de préservatifs vibrants, gels et autres huiles
aphrodisiaques dans la salle de bain. Ils ont dû bien rigoler
à côté… Moi, j'ai rien dormi.
Escale de trois heures à Kunming.
La musique de "Jeux interdits" dans l'aéroport…
D'immenses banderoles invitent le voyageur à visiter les
forêts de pierre de la région. Le pays prévoit de
développer ses infrastructures touristiques dans les
années à venir. De gros projets. Une autoroute va relier
dans quelques années Kunming au Laos. Trois heures de route, en
coupant des régions totalement isolées jusqu'ici. Une
petite centaine de casinos sont déjà construits, le long
du tracé, où viennent s'encanailler les nouveaux riches.
Il est difficile de s'imaginer comment le pays a pu changer ces
dernières années, et comment il va encore changer dans
les prochaines.
Vol pour Lijiang, à l'ouest du Yunnan.
Lijiang…
La ville ancienne et ses petits canaux - classée patrimoine
mondial par l'Unesco il y a une dizaine d'années - sont envahis
de nuées de touristes occidentaux et aussi chinois. L'ancien
système de distribution de l'eau - répartition par
familles avec un système rotatif pour gérer les stocks
(un peu ce qu'on trouve dans le monde arabe) - c'est pour les
historiens et les géographes. On a chassé les chinois
Naxi vers l'extérieur. Les maisons ont été
transformées en magasins. Bijoux, tissus, peaux, pierre,
parchemins, etc…
Lijiang, c'est aussi un carrefour de l'opium. Une foule hétéroclite se bouscule dans les petites ruelles.
Vrais faux lamas tibétains, groupe de touristes chinois
derrière leur drapeau, petites frappes cachées
derrière de trop grosses lunettes, femmes en tenues
traditionnelles mais baskets camouflage, couple de routards
désorientés, bimbo internationale roulant sa valise
à roulette sur les pavés grossiers, obèse
asiatique, québécois en dread locks, français aux
chaussettes à carreaux, etc, etc…
Au "Café de Paris" (sic), des femmes en tenues folkoloriques de
l'ethnie naxi dansent sur scène sous les projecteurs de couleur,
au son d'une sorte de techno chinoise à 2 yuans…
Grave.
C'est bien sûr exactement au moment où le tourisme de
masse débarque que les beaux endroits de cette planète
disparaissent. Un peu comme l'art disparaît au moment exact
où il rentre au musée. Rien de très nouveau, mais
toujours un peu déprimant…
Lijiang…by night.
Nous avons trouvé une petite échoppe à
l'écart de la foule. Pas de touristes ! Les rares passant devant
semblent trouver l'endroit trop sale. Une famille naxi tient la
boutique. On passe en cuisine, pour choisir les ingrédients.
Légumes et pièces de viandes qu'on va passer au wok,
culoté comme s'il sortait tout droit d'un film d'époque.
Sur un billot rustique, on nous découpe des champignons au fumet
absolument extraordinaire. Des sortes de bolets, mais encore meilleurs
que des bolets.
On rigole avec les mômes de la patronne.
Sur l'étagère, de drôles de fruits trempent dans
des bocaux au verre graissé par la fumée de cuisson.
Dehors, la lune se prépare, derrière une barrière de nuages, à faire sa sortie.
=:-)
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